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«En toute franchise, non merci!»
TEXTE Donatienne Coppieters | PHOTO J.B. | TEMPS DE LECTURE: 2,5 MINUTES | SYNDICALISTE 19 AVRIL 2023
Le 7 mars, Delhaize annonçait son intention de franchiser l’ensemble de ses 128 magasins lors d’un conseil d’entreprise extraordinaire et plongeait l’ensemble de ses travailleurs dans l’incertitude la plus totale. Le 17 avril, après 6 semaines de grèves et d’actions des travailleurs de Delhaize, les travailleurs de la grande distribution se sont rassemblés devant le SPF Emploi pour refuser la franchisation des enseignes et la détérioration des conditions de travail. Charlotte Lorent, 32 ans, travaille depuis 10 ans au Delhaize de Bouffioulx. Déléguée depuis 3 ans, elle était une des témoins sur le podium de la manif. Voici son témoignage complet.
«Ce mardi 7 mars, Delhaize annonçait son intention de franchiser l'ensemble de ses 128 magasins lors d'un conseil d'entreprise extraordinaire et plongeait l'ensemble de ses collaborateurs dans l'incertitude la plus totale.
Delhaize avant sa fusion avec Ahold en 2016 était l'un des fleurons des entreprises belges. Des familles entières ont travaillé et travaillent encore sous la bannière du lion. Delhaize, c'était des carrières, une commission paritaire juste, un travail adapté mais surtout des travailleurs passionnés, fiers et engagés!
Des travailleurs qui après avoir parfois donné toute une vie pour le lion ont appris brutalement et avec un mépris jamais connu auparavant qu'ils allaient être vendus avec leurs magasins tels des marchandises. Des travailleurs qui, contrairement à ce que Delhaize essaye de leur faire croire, ont conscience de la réalité de la franchise.
La réalité de la franchise aujourd'hui, pour ne citer que quelques exemples, c’est un marché super tendu avec toujours plus de concurrence, mais toujours le même gâteau à se partager; C'est de la polyvalence à outrance et toujours plus de flexibilité. C’est donner toujours plus avec toujours moins en retour en espérant que le patron ne fasse pas faillite. La réalité de la franchise aujourd’hui ce sont des travailleurs livrés à eux même face à l’employeur (je vous laisse imaginer les dérives…). La concertation sociale? Il n’en existe plus! La réalité de la franchise, ce sont des contrats précaires (étudiants, flexi-jobs, CDD…). Pour le développement de l’emploi, va-t-on laisser faire ça?
La réalité pour nous, c’est qu’on gardera nos droits, oui. Plus dans une CCT collective, mais dans un avenant au contrat.
"Delhaize, du côté de la vraie vie" comme ils disent… Le bon côté de la vraie vie, ce ne sont pas moins de 355 millions reversés aux actionnaires ces 3 dernières années. Le salaire du CEO Delhaize, c'est 6,5 millions l'année passée.
Le bon côté de la vraie vie, c’est d’ignorer la grève de ses travailleurs en offrant un mois de livraisons gratuites à ses clients. Le bon côté de la vraie vie, ce sont des actionnaires heureux de se mettre 10,5% de dividende en plus dans la poche cette année, pendant que des familles entières sont plongées dans la peur, la colère et la tristesse. Heeeee oui, Ahold Delhaize se porte bien, contrairement à ses travailleurs!
Parlons maintenant du mauvais côté, celui des employés. La vraie vie des employés Delhaize c’est la violence. Il y a d’abord eu la violence de l’annonce: "Coucou petit travailleur, on ne veut plus de toi car tu nous coûtes trop cher et nos magasins belges ne nous rapportent pas assez de pognon cette année. Mais ne t’inquiète pas! On va te vendre à un indépendant qui va continuer à payer vos salaires + un loyer pour le magasin + nous filer un pourcentage sur ses ventes mais lui, contrairement à ton directeur, il y arrivera. Toi dans tout ça? Ben accepte et ferme là, sois déjà content de ne pas perdre ton emploi!"
Ensuite, la violence a pris le visage du mensonge: "Recoucou petit travailleur. Tout compte fait, on a décidé de supprimer 283 emplois, mais t’inquiète, les personnes concernées ont été remerciées via un appel groupé et je te promets que ce n’est pas le début d’un licenciement perlé."
La violence a ensuite encore pris un nouveau tournant, celui d’une multinationale qui a décidé d’écraser ses "petites gens": "Rerecoucou petit activiste (ben oui, il est déjà loin le temps où ils nous appelaient les héros du Covid). Tu vas arrêter tout de suite de revendiquer tes droits et retourner travailler car tu commences à m’enmerder!" Cette violence s’est traduite par un droit de grève baffoué. Des délégués fouillés, des huissiers accompagnés de la police venant distribuer des astreintes de plusieurs milliers d’euros à des travailleurs perdant déjà leur salaire pour faire piquet, l’utilisation de la police armée et des autopompes à Zellik pour laisser passer quelques camions, les forces spéciales cachées dans des buissons… C’est rouvrir des magasins par la force avec un personnel en grève chassés par les forces de l’ordre et remplacés sur le champ par des étudiants. Alors Delhaize, en cette 6ème semaine de grève, la suite de ton plan, c’est de nous envoyer l’armée?
L’annonce de Delhaize de ce 7 mars c’est l’annonce de la diminution des acquis sociaux, la toute-puissance du patron et des travailleurs traités comme de la vulgaire marchandise interchangeable. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’avenir de tout un secteur. Les travailleurs devraient accepter de perdre leurs acquis pour qu’une poignée d’actionnaires s’en mettent encore plus dans les poches?
Aujourd’hui c’est nous, mais demain ce sera qui? Mestdagh? Delhaize, Colruyt, Action, Auto 5?
Aujourd’hui, les travailleurs de Delhaize entament leur 6ème semaine de grève. Aujourd’hui, mes collègues sont devenus des guerriers! Aujourd’hui mes collègues se battent pour eux, mais aussi pour toi! Car la machine infernale est lancée et qu’elle ne s’arrêtera pas.
Aujourd’hui mes collègues sont fatigués et plus que jamais ils ont besoin de solidarité. Car aujourd’hui, la solidarité commence avec toi. Pour que notre slogan devienne celui de notre secteur, pour qu’il devienne celui de tous les secteurs et tous les travailleurs: "En toute franchise, non merci!"»