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/Abdelmajid Laroussi: «Les avantages ne tombent pas du ciel»

INTERVIEW ET PHOTO Donatienne Coppieters | TEMPS DE LECTURE: 4 MINUTES | SYNDICALSTE 21 JUIN 2023

À l’occasion de la Journée du nettoyage, nous mettons à l’honneur un délégué de ce secteur: Abdelmajid Laroussi, 60 ans, nettoie depuis 30 ans les locaux de l’ULB pour différentes sociétés de sous-traitance. À chaque nouvel appel d’offre, il a vu les conditions de travail se détériorer. Il commence une lutte pour en finir avec la sous-traitance.

FACE À FACE /

Comment ont évolué les conditions de travail depuis votre arrivée à l’ULB?

J’ai commencé à travailler dans le nettoyage à l’ULB en 1992 pour Laurenty. En 1994, le contrat est repris par AD Clean. En 2014, c’est ISS qui gagne le marché, une multinationale danoise. Maintenant, c’est Köse Cleaning Cose qui a remporté l’appel d’offre, mais ISS a fait un recours et nous ne savons pas encore qui a gagné.

Jusqu’en 1992, l’ULB ne sous-traitait pas le nettoyage et il y avait deux femmes de ménage à temps plein pour un étage. Aujourd’hui, une seule personne doit faire le même étage en 3-4 heures. Dans les années 70, l’ULB a commencé a sous-traiter le nettoyage.

Avant la sous-traitance, les ouvrières travaillaient dans la bonne humeur, le salaire était meilleur, elles avaient 24-25 jours de vacances, de meilleures pensions, des assurances, la cantine presque gratuite, la crèche gratuite…

Depuis, tous les quatre ans, l’ULB doit soumettre un nouvel appel d’offre. Comme l’université veut toujours économiser plus, le nombre d’heures de travail diminue, ce qui implique une surcharge de travail tous les quatre ans. Ça devient impossible de réaliser ce qu’il y a dans le cahier de charges. En plus, ils demandent une qualité de nettoyage cinq étoiles, avec des contrôleurs de l’ULB et une société externe sous-traitante qui assure aussi le contrôle.

Quand une société remporte un appel d’offre, quelle garantie a le travailleur d’être réengagé?

Les travailleurs qui ont une ancienneté de
9 mois sont repris d’office mais leur travail n’est garanti que pendant 6 mois. Mais à chaque appel d’offre, il y a diminution d’heures et il arrive que des travailleurs soient licenciés.

Comment a commencé le combat syndical?

À l’époque d’AD Clean, il n’y avait pas de délégation syndicale. Quand j’ai commencé à travailler, il fallait aller au siège. On devait attendre à l’extérieur par tous les temps pour entrer un par un pour recevoir un chèque pour aller à la banque. On était comme des esclaves. Les travailleurs malades étaient mis en préavis. On touchait le salaire du nettoyage classique 1A mais, pour le même prix, on faisait de la manutention, un peu de tout à l’extérieur, les grands nettoyages… On était parfois 20 alors qu’on aurait dû être au minimum 60.

Ça n’allait pas, mais j’étais tout seul. J’avais besoin d’aide et j’ai commencé à me renseigner. Le syndicat de l’ULB m’a aidé. Et puis, je suis allé à la CSC. On a décidé d’organiser des élections sociales, ce qu’AD Clean n’envisageait pas d’un bon œil. Quand on a voulu faire des réunions, on nous l’a interdit. On se réunissait dans un café ou au parc le dimanche quand il faisait beau. J’avais besoin de l’aval des travailleurs pour changer la situation, et je me suis demandé comment les atteindre. J’ai commencé par l’argent. Il fallait attendre un mois et 10 jours pour toucher le mois. J’ai fait une pétition qui n’a pas marché. Je suis allé chez mon permanent qui a pris contact avec l’inspection sociale. On a discuté de tous les problèmes. Depuis, on est payé en deux fois. Les ouvriers, quand ils ont su que c’était grâce à moi, ont commencé à venir me voir en cachette car beaucoup de choses n’allaient pas.

On a commencé par demander des vêtements de travail parce qu’on n’avait que des tabliers, puis on a réclamé une indemnité pour les frais de transports, les jours fériés et les jours fériés extralégaux. En 2013, on a fait une action au CE de l’ULB. On a demandé un entretien avec le président pour expliquer nos conditions de travail en disant «Ça fait des années qu’on lutte et personne ne nous écoute.» Il nous a écouté et il a dit «C’est incroyable, je n’arrive pas à le croire».

Par après, l’ULB a fait un autre appel d’offre pour cause de rupture de confiance avec AD Clean. ISS a repris le contrat en 2014. On était content, mais malheureusement, ce n’était pas pour un bon changement. Il n’y avait pas de planning de travail, pas le matériel nécessaire, ils faisaient des économies sur le torchon, les produits, les machines… On a réalisé que 30% du contrat n’était pas rempli. On a fait un premier piquet de grève d’un jour en 2015. Suite à nos actions, 7 ouvriers 1A sont devenus 1B. 4 ouvriers en CDD ont obtenu un CDI. Pour quelques-uns, on a obtenu des frais de transport. Mais suite à l’appel d’offre, le nombre d’heures de travail avait encore diminué et la surcharge de travail augmenté. On compte 7 heures par bâtiment, alors qu’il en faudrait 11.

En 2016, on a organisé un nouveau jour de grève et en 2017, on a fait 3 jours de grève pour non-remplacement des travailleurs malades, pour le payement des jours fériés extralégaux... On a gagné 5 jours de congés en plus grâce à la lutte.

plus

Vous avez aussi obtenu un meilleur horaire de travail…

L’idée du patron est que si l’ouvrier travaille 4h le matin et revient à 17h, il a eu le temps de se reposer et travaille mieux. Mais avec des horaires coupés, comment peut-on éduquer nos enfants? Grâce aux luttes, la majorité des travailleurs ont obtenu en 2013 de travailler de 6h à 14h heures.

Vous menez une négociation avec l’ULB pour essayer de réintégrer les travailleurs du nettoyage au personnel de l’ULB. Comment cela se passe-t-il?

Nous avons réfléchi à la meilleure solution pour les travailleurs. J’en ai parlé à notre permanente de la CSC Alimentation & Services, Marina Kunzi, qui m’a parlé du film «Le balai libéré». J’ai été invité deux fois à le voir. J’ai trouvé que c’était très bien, mais ce n’est pas la même époque et l’autogestion nécessite un capital pour acheter du matériel. Ou bien, il faut faire des dettes, c’est une grande responsabilité. De plus, il y aurait alors deux sociétés: l’ULB qui est le client et une autre en autogestion mais qui fonctionne comme un sous-traitant. Je préfère qu’on en termine avec les sous-traitants. On demande juste d’être intégré à l’ULB comme les anciennes femmes de ménage.

Maintenant, on doit voir comment résoudre les problèmes. À nous de démontrer à l’ULB que ce n’est pas plus cher et de contrer les autres arguments. Ce n’est pas leur métier? Mais il y a des chauffagistes, des plombiers, des menuisiers qui ne sont pas des sous-traitants et qui font partie de leur personnel. Et pour ce qui est de la gestion du personnel, ils ont déjà un service qui le fait.

Quel est le profil des personnes qui nettoient l’ULB?

Avant, on avait 100% de personnes d’origines étrangères, maintenant il y aussi quelques Belges et des personnes qui ont fait des études. La diversité d’origine est magnifique: on a des Portugais, des Espagnols, des Marocains, des Turcs, des Arméniens, 3 ou 4 Belges... À l’époque d’AD clean, le responsable de chantier jouait avec ça pour diviser les travailleurs. En assemblée, je parle de ça pour dire qu’on doit être ensemble, qu’ensemble, on est plus fort et qu’on peut obtenir ce pour quoi on se bat.