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FACE À FACE /

En faut-il vraiment peu pour travailler mieux?

ENTRETIEN Donatienne Coppieters / PHOTO Yannick Coppens / 11 septembre 2024 / temps de lecture: 5 minutes

«Travailler, c’est en quelque sorte faire un voyage et non souffrir. Comment faire de notre carrière un périple palpitant plutôt qu’un grill crépitant?» Nourries de leurs expériences de travail respectives, Yoneko et Gwenny Nurtantio veulent remettre le travail à sa juste place. Elles s’adressent aux jeunes en début de carrière et aux employés, mais aussi à tous les travailleurs qui se posent des questions sur le travail et les relations de travail. Syndicaliste a rencontré les deux jeunes autrices du livre «Il en faut peu pour travailler mieux».

Votre livre est un régal d’humour, d’anecdotes, d’histoires personnelles et familiales, de références et citations éclairantes. Il se lit comme un roman tout en étant aussi un livre d’exercices à faire sur soi-même. Je me suis d’emblée dit qu’il est très peu syndical. Vous avez plus une approche individuelle que collective des problèmes liés au travail?

En fait c’est par là qu’on commence. C’est un livre qui s’adresse aux personnes qui vont arriver dans le monde du travail ou qui y sont déjà actives. Nous invitons le ou la lectrice à (se) poser des questions par rapport à sa vie professionnelle, à la situation dans laquelle il ou elle se trouve. On peut se dire: «Je vais d’abord améliorer ma façon de travailler, l’organisation de mes tâches, la façon dont j’interagis avec les autres» et ça se passe d’abord à un plan individuel. Par après, une série de chapitres invitent à passer à un niveau plus structurel et à se mettre en réseau, pour comprendre que ma situation n’est pas un cas isolé, qu’il peut y avoir des schémas qui se répètent au niveau de l’entreprise, d’un département ou même sociétalement dans la façon dont on a construit le travail aujourd’hui.

Donc il y a une invitation à aller vers le collectif mais comme la lorgnette de départ est la personne qui se pose des questions sur son job, on cherche ce qui est actionnable à différents paliers. Il y a aussi l’idée de politiser ses émotions c’est-à-dire sortir de cette approche très individualiste de la psychologie d’action qui dit que quand tu ne te sens pas bien, tu dois aller chez le psy et travailler sur toi-même. On donne une série de clés par rapport à ça, mais on explique les limites de ce système.

Vous vous adressez aussi aux managers…

On invite les personnes qui dirigent une équipe à donner de la latitude aux employés pour leur permettre de pouvoir prendre des décisions pour désencombrer leur vie pro. L’idée est de donner une sorte d’autorisation ou de liberté de lâcher un peu prise pour qu’une personne puisse vraiment remettre en question les tâches qu’elle doit faire chaque jour. Et s’il n’y a pas le management qui suit, ça reste très compliqué d’appliquer notre méthode pour pouvoir vraiment se concentrer sur l’essentiel. Énormément de personnes sont dans un engrenage, réalisent des tâches habituelles sans requestionner le pourquoi du comment et se sentent mal au boulot. Ça pose vraiment question et c’est pour ça que c’est un travail à faire aussi en équipe et avec les managers à qui le livre s’adresse aussi.

Les middle managers ont souvent l’impression d’être pris en étau entre le fait qu’ils n’ont pas de prise sur les décisions parce qu’ils sont entre les deux niveaux en permanence et cette posture est vraiment d’impuissance. C’est compliqué à gérer et donc, ce qu’on essaie de faire, c’est de faire bouger les lignes à plusieurs endroits en même temps.

Quels sont les problèmes majeurs que vous constatez dans le monde de l’entreprise ou du travail?

61% des Belges se sentent débordés en permanence. (1) On a pris cette habitude de ne plus avoir une minute à soi. Ce surmenage peut entraîner des conséquences graves et mener au burnout. On veut sensibiliser les personnes à réaliser que ce n’est ni acceptable, ni normal. Il y a des choses à mettre en place pour changer ça. Nous donnons l’exemple concret des e-mails. On est très souvent dans la réactivité. On doit tout de suite répondre pour montrer qu’on est là, sinon les collègues vont se dire qu’on ne travaille pas ou pas bien. Mais si on se donne la règle d’attendre deux jours avant de répondre à chaque mail, ça change la temporalité au niveau de l’équipe et progressivement du réseau de personnes avec laquelle on est en contact. On doit apprendre à gérer cette pulsion d’immédiateté. Mettre en place une autre façon d’échanger va avoir au fur et à mesure un impact sur la façon dont le service ou le département fonctionne.

Lors de nos ateliers et formations, on n’apprend pas aux gens à juste gérer leur boîte mail. On se demande pourquoi j’ai autant d’e-mails dans ma boîte. D’un autre côté, être surchargé peut donner une contenance à l’individu, lui donner l’impression d’avoir un statut dans la société. Ça vaut la peine d’y réfléchir individuellement et collectivement.

Ce qu’on souhaite, c’est donner une impulsion pour changer le système de l’intérieur en créant des espaces de discussion pour que les travailleurs reprennent du pouvoir sur leur travail.

Ensemble, on peut réaliser ce qui est en train de se jouer dans son département ou son entreprise. On n’est pas dans l’apitoiement. Cette approche permet de sortir de la posture de victime. Avec nos 25 solutions, on met en avant le côté très activable, avec un peu d’humour.

Vos «25 solutions pour désencombrer ma vie pro» sont aussi 25 questions que vous posez directement au lecteur. En quoi questionner le monde du travail est-il essentiel?

Ce qui nous étonne lorsque l’on donne des ateliers, c’est de voir à quel point les jeux psychologiques et de pouvoir ne sont pas du tout bien connus. Des personnes en fin de carrière nous disent «Si j’avais su qu’il existe cette façon de fonctionner entre persécuteur, sauveur et victime, c’aurait été différent. On aurait pu mieux se concentrer sur les objectifs sans être occupé à dédier son énergie à des relations qui sont construites sur des bases toxiques.» Il s’agit d’amener une dynamique de travail beaucoup plus porteuse quel que soit le secteur et d’apprendre à poser des questions. Poser la question de pourquoi on fait ça est un des éléments essentiels. C’est pour ça que tous les titres des chapitres sont des questions. Au 21e siècle, avec le développement de l’intelligence artificielle et les autres technologies qui vont se développer, l’enjeu sera aussi d’être capable de poser les bonnes questions plus que d’être un expert qui pourra apporter les réponses à tous les problèmes.

Quel est finalement l’objectif de votre livre?

L’objectif du livre n’est pas de conseiller à tout le monde de quitter le monde du travail pour créer une micro-brasserie ou pour aller élever des chèvres dans le Larzac (rire). C’est plutôt de redonner du pouvoir à chacun de jouer sur certains paramètres de sa vie, dont celui de changer de boulot éventuellement, mais qui peut se faire de façon progressive, sans tout plaquer du jour au lendemain.

Au niveau de l’entreprise, il s’agit de savoir pourquoi on fait les choses de cette manière-là, comment on fonctionne et interagit. La dynamique globale est de réfléchir à ce que je peux changer à titre individuel et collectif et quelles sont les dynamiques plus saines à mettre en place.

Nous avons voulu mettre en avant des pistes actionnables et en même temps, aller dans la profondeur pour ne pas rester juste au niveau de trucs et astuces. Ce qui nous importe c’est que les gens reprennent conscience qu’ils ne sont pas des outils et qu’en tant que travailleurs, ils ont du pouvoir à la fois individuellement et collectivement.

(1) Enquête en ligne d’iVOX à la demande d’Omnivit, 2018.

Gwenny et Yoneko Nurtantio sont sœurs. Gwenny est ingénieure commerciale. À 28 ans, après avoir navigué dans une douzaine d’entreprises, de stagiaire à manager, elle s’est inspirée de nombreuses situations vécues pour écrire ce livre. Yoneko, égyptologue et philologue classique, s’interroge sur la valeur du travail pour chercher le sens des activités qui occupent une bonne part de notre vie.

Plus d’infos sur le livre et ses autrices: www.coachorganisation.com

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