L'ACTU /
Évaluation de la réforme des pensions: absence de vision globale
TEXTE: Youssef EL OTMANI | ILLUSTRATION: Shutterstock | 15 NOVEMBRE 2023 | TEMPS DE LECTURE: 2,5 minutes
Le gouvernement fédéral s’était accordé en juillet 2022 sur une série de mesures en matière de pensions. L’accord prévoyait qu’une évaluation allait avoir lieu, notamment sur les impacts de ces mesures en matière de genre. Il aura fallu pratiquement un an pour que cette évaluation se fasse et que le gouvernement adapte les mesures. Les débats qui ont suivi l’accord de l’été 2022 ont mis en évidence le coût important de la proposition concernant l’octroi du bonus pension.
Le comité de gestion du Service fédéral des pensions (SFP) a rendu le 23 octobre un avis sur la réforme des pensions proposée par la ministre Lalieux. (1) Il avait été saisi en septembre 2023 d’une demande d’avis sur les mesures suivantes:
1. Introduction d’une condition de carrière effective de 20 ans pour accéder à la pension minimum (cette condition vient s’ajouter à celle qui exige déjà une condition de carrière de minimum 30 ans). Précisons aussi que pour avoir droit à une pension minimum complète, il faut justifier d’une carrière de 45 ans. À défaut, le montant est proratisé.
2. Réintroduction d’un bonus pension (qui avait été supprimé par le gouvernement Michel). Le nouveau système est ouvert aux travailleuses et travailleurs qui satisfont aux conditions de la pension anticipée et qui décident de prolonger leur carrière. Il donne lieu, lors de la prise de la pension légale, au versement d’un montant net supplémentaire en capital ou en rente.
3. Pour les périodes de travail antérieures à 2001, les prestations effectuées à 4/5ème sont assimilées à un temps plein pour maximum cinq ans. Il s’agit d’une mesure correctrice limitée visant à couvrir des périodes avant la création du crédit-temps
Le comité de gestion a été en mesure d’élaborer un avis unanime sur certains aspects:
• l’absence de vision globale et le constat qu’il s’agit de l’addition de mesures plutôt qu’une réforme à proprement parler;
• l’absence de cohérence: par exemple, dans la condition de carrière effective, certaines périodes sont assimilées (le congé de maternité, les périodes de chômage pour les artistes), mais d’autres sont ignorées sans justification (le crédit-temps pour soin);
• la complexité qui découle de ces différences qui rendent le système très illisible pour le citoyen.
(1) Cet avis n’aborde pas les mesures relatives aux pensions dans le secteur public (limitation de la péréquation). Ces aspects font l’objet de discussions distinctes dans les instances de concertation de la fonction publique.
L'AVIS DES SYNDICATS
Dans la partie divisée de l’avis, le banc syndical a notamment insisté sur les éléments suivants:
• Son opposition à la condition de carrière effective: il s’agit d’une atteinte au principe des périodes assimilées et d’un grave précédent.
• En dépit des corrections apportées en juillet 2023, l’atteinte qui est faite aux périodes assimilées aura un impact négatif sur les pensions des femmes, ce que les organisations syndicales ne peuvent accepter.
• Concernant le bonus pension, les organisations syndicales sont globalement en faveur de toute amélioration du montant de la pension. Toutefois, elles observent que cette amélioration est une condition à un rallongement de la carrière. Or, de larges catégories ne sont pas en mesure de prolonger leurs carrières et donc ne verront pas d’augmentation. Le bonus renforcé prévu pour les travailleurs avec longues carrières risque de s’avérer sans effet réel. Les vraies bénéficiaires risquent d’être celles et ceux qui auraient de toute façon prolongé leur carrière et profiteront d’une aubaine supplémentaire. Au regard du coût de la mesure, il est permis de se demander si cette mesure est la plus adéquate lorsqu’on voit l’ampleur des défis à relever (inégalités en termes de pensions et faiblesse des montants de celles-ci).