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DOSSIER ACCIDENTS DU TRAVAIL /

Guido Dirix: «Le coût social d'un accident du travail est énorme»

TEXTE Patrick Van Looveren | PHOTO Maarten De Bouw | 17 AVRIL 2024 | TEMPS DE LECTURE: 3 MINUTES

Le 19 novembre 2013, le monde s’est effondré pour Guido Dirix, qui était alors délégué principal de la CSC chez Interparking. Il a reçu un coup de téléphone lui apprenant que son fils, German, et son collègue et meilleur ami, William, avaient perdu la vie dans un accident du travail sur le site de la raffinerie pétrolière Total à Anvers. «J’ai pris ma voiture et suis rentré chez moi dans un état second, sans même respecter les feux rouges.» Fin 2023, plus de dix ans après les faits, l’employeur, Team Industrial Services, et le donneur d’ordre, Total, ont été jugés responsables par la Cour d’Appel d’Anvers et condamnés pour coups et blessures involontaires ayant entraîné la mort. Cela ne s’est pas fait sans heurts. «Cela ne me ramènera pas German, mais j’espère que ce procès fera bouger les choses et contribuera à un meilleur respect de la sécurité des travailleurs», souligne Guido.

Le 19 novembre 2013, German et William, qui travaillaient comme monteurs, ont reçu un appel de leur employeur, les enjoignant d’aller réparer rapidement une fuite à une vanne de vapeur à la raffinerie pétrolière Total dans le port d’Anvers. Ils n’ont pas reçu d’ordre de mission avec une description claire de la tâche. Ni Team Industrial Services – le sous-traitant pour lequel German et William travaillaient – ni le donneur d’ordre Total n’ont présenté une analyse de risques aux monteurs. Sur place, il n’ont pas été accompagnés. Personne ne leur a montré quelle vanne il fallait réparer. Comme plusieurs vannes fuyaient, German et William ont commencé à travailler sur une autre vanne que celle qui était prévue. Cette vanne avait déjà reçu cinq injections d’un produit destiné à colmater les fuites, alors que le nombre d’injections est limité à deux. Ces injections ne sont que des solutions temporaires. Normalement une vanne qui fuit doit être réparée en profondeur ou remplacée lors d’un shutdown, c’est-à-dire lorsque l’installation est mise à l’arrêt, mais cela ne s’était pas fait. L’explosion fatale s’est produite pendant la réparation.

Une grande passoire

Guido: «L’explosion a été gigantesque. Si 20 personnes s’étaient trouvées à proximité, elles auraient toutes perdu la vie. La raffinerie était une grande passoire. Dix-sept valves ne fonctionnaient pas correctement. La politique de sécurité était totalement insuffisante. L’entreprise aurait dû être beaucoup plus stricte pour l’entretien de ses installations et n’aurait pas dû négliger les réparations et remplacements nécessaires. Total, comme toutes les autres entreprises chimiques du port d’Anvers, travaille avec énormément de sous-traitants et la communication n’est pas toujours optimale. Le sous-traitant pour lequel German et William travaillaient n’est pas non plus irréprochable. Team Industrial Services a fait preuve de laxisme. L’entreprise aurait dû exiger que les monteurs soient accompagnés et n’auraient pas dû les autoriser à travailler sans ordre de mission.»

Pas l’intention de tirer l’affaire au clair

Total et Team Industrial Services ont été condamnés en première instance par le tribunal correctionnel d’Anvers. Guido: «Total a pris ses responsabilités et a accepté la condamnation, ce que j’apprécie, mais le sous-traitant est allé en appel. Il voulait faire porter la faute aux deux travailleurs. Team Industrial Services a été recondamné en appel. Jusqu’ici, nous n’avons jamais reçu d’excuses de Team Industrial Services. Si cela avait dépendu de l’auditorat du travail, il n’y aurait d’ailleurs jamais eu de procès. Lorsque je me suis rendu aux greffes deux semaines après l’accident pour consulter le dossier, j’ai remarqué tout de suite que l’auditorat du travail n’avait pas l’intention de tirer toute l’affaire au clair», explique Guido. Ils m’ont dit: "Vous savez à qui vous vous attaquez? Total, ce sont des gens importants, hein." J’ai dû moi-même chercher et payer un expert pour étudier le dossier. La plupart des experts n’osaient pas ou ne voulaient pas collaborer à une enquête contre Total. Toute cette affaire – frais d’avocats et d’huissier compris – m’a coûté 80.000 euros au total. J’ai dû vendre ma maison et plusieurs peintures auxquelles j’étais attaché. Si on gagne, on reçoit des dommages et intérêts, mais ce n’était pas mon objectif. Pour moi, c’est une question de justice. Les multinationales doivent elles aussi garantir des conditions de travail sures. Si je n’avais pas persévéré, il n’y aurait pas eu de procès et donc pas de condamnation. Les indemnités de procédure que vous recevez en tant que partie ayant obtenu gain de cause pour couvrir les frais et les honoraires de l’avocat sont d’ailleurs tout à fait insuffisantes. C’est peut-être une idée folle, mais pourquoi n’existe-t-il pas un fonds auquel les employeurs cotiseraient et qui servirait à payer les frais de procédure que les victimes d’accidents du travail doivent supporter? 

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«Ce dossier constitue un précédent puisque l’entrepreneur principal a été jugé coresponsable. Jusque-là, les donneurs d’ordre estimaient n’avoir rien à se reprocher.»

Guido Dirix

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Aujourd’hui, la plupart des proches n’entament pas de poursuites parce qu’ils ne peuvent pas avancer l’argent nécessaire pour la procédure et ne pensent pas pouvoir faire le poids face à de grandes entreprises. Le fait que la victime soit affiliée à un syndicat joue un rôle parce qu’elle peut alors faire appel à l’assistance juridique du syndicat. Elle doit toutefois constituer elle-même un dossier et assumer certains frais. Mon passé de délégué syndical m’a aidé parce que je connais mieux les procédures à suivre que la majorité des gens. Pour me perfectionner, j’ai d’ailleurs suivi une formation chez Syntra et obtenu un diplôme de conseiller en législation sociale. Cette formation m’a aidé pour le procès.»

Un précédent

«Ce dossier constitue un précédent puisque l’entrepreneur principal a été jugé coresponsable de ce qui s’est passé sur son site. Jusque-là, les donneurs d’ordre estimaient n’avoir rien à se reprocher. Si un problème touchait des travailleurs d’un sous-traitant, la responsabilité incombait au sous-traitant, estimaient-ils. Cet arrêt les oblige à prendre leurs responsabilités. Il entraînera aussi des conséquences sur d’autres dossiers, comme celui de l’école fondamentale de la Smolderenstraat à Anvers, qui s’est effondrée, causant la mort de cinq ouvriers de sous-traitants, ou le dossier de trafic d’êtres humains chez Borealis. Les représentants des travailleurs doivent également jouer leur rôle. Dans le passé, lorsque vous posiez des questions au conseil d’entreprise, au CPPT ou à la délégation syndicale sur les sous-traitants présents dans l’entreprise, on vous répondait que cela ne vous concernait pas. Les délégués des travailleurs au conseil d’entreprise, au CPPT et la délégation syndicale ont pourtant pour mission de vérifier que tout est en ordre au niveau des contrats et de la sécurité.»

Prise de conscience

«Ce qui me tient debout, ce qui me donne des forces, c’est l’espoir que mes efforts dans le dossier de mon fils contribuent à une plus grande prise de conscience au niveau de la prévention des accidents du travail. En tant qu’expert par l’expérience, j’essaie d’aider d’autres personnes. Le diplôme en législation sociale que j’ai obtenu, j’ai choisi de le suspendre dans les toilettes, en me disant que ce bout de papier, on peut l’utiliser pour s’essuyer le derrière ou en faire quelque chose d’utile. Ma femme est chilienne. Je parle couramment espagnol et portugais. Ici, sur les chantiers, beaucoup de Latino-américains travaillent (à titre temporaire). Ils ne sont généralement pas affiliés à un syndicat. Ce sont des jouets pour les employeurs qui ne rechignent pas à contourner la législation sociale. S’ils sont victimes d’un accident du travail, l’accident n’est souvent pas déclaré et le travailleur ne reçoit aucune indemnité. Je suis pensionné et j’ai du temps. Les travailleurs savent où me trouver s’ils ont besoin d’aide.»

Avec les larmes aux yeux: «Après l’accident de mon fils, je suis resté quelques années à la maison. Heureusement, mon employeur était compréhensif. Émotionnellement, certains moments restent très difficiles. Ma femme ne s’est jamais remise mentalement de la mort de German. Et nous ne sommes que ses parents. Le coût d’un tel accident du travail est énorme pour la société.»

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