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La CSC et les syndicats en Europe contre l’extrême droite
INTERVIEW Donatienne Coppieters I PHOTO Shutterstock | TEMPS DE LECTURE: 5 MINUTES | SYNDICALISTE 17 MAI 2023
L’année 2024 sera celle de tous les scrutins électoraux. Nous serons amenés à voter aux niveaux communal, régional, fédéral, européen et aussi à l’intérieur de nos entreprises lors des élections sociales. À chaque scrutin, l’angoisse du plébiscite de l’extrême droite revient. Comme syndicat, nous avons la responsabilité de la contrer. Pour s’y préparer, le CSC vient de publier une brochure: «Les syndicats en Europe contre l’extrême droite». Ses trois auteurs, Karin Debroey, Thomas Miessen et Luc Impens, nous expliquent les enjeux.
Comment définir aujourd’hui l’extrême droite alors que ses frontières avec la droite extrême s’atténuent de plus en plus?
L’étude «Plus de démocratie, moins de racisme sur le lieu de travail» (1) sur laquelle nous nous sommes basés met en avant trois caractéristiques de l’extrême droite.
L’extrême droite est d’abord raciste, nationaliste et xénophobe. Elle repose sur une forme de nationalisme qui exclut les non-natifs, les migrants, les minorités dont les minorités religieuses et sexuelles comme l’Islam et les LGBTQI.
Sa 2ème caractéristique se manifeste par des pensées et des pratiques conservatrices, autoritaires et hiérarchiques avec surtout deux aspects: la place de la religion dans la société, avec une version très catholique comme en Pologne, et les rôles traditionnels des hommes et des femmes. La femme est celle qui reste à la maison, qui prend soin. Cela s’exprime, notamment dans les pays d’Europe de l’Est, par un refus du concept de genre parce que celui-ci met en avant que les rôles des hommes et des femmes sont une construction sociale et pas des rôles naturels. Cela peut aussi se concrétiser parfois par des mesures sociales comme c’est le cas des allocations familiales en Pologne et en Hongrie. La plupart du temps néanmoins, il y a derrière des discours sociaux des politiques antisociales.
La 3ème caractéristique, c’est l’antidémocratisme et le populisme. L’extrême droite attaque les institutions démocratiques, le parlement, l’indépendance judiciaire, les juges. Or, le rôle des juges dans notre société, c’est de protéger les droits fondamentaux, la Constitution, mais aussi les droits des minorités. Le populisme attaque ceux considérés comme des élites politiques, mais il s’en prend maintenant aussi aux «élites» culturelles, de gauche et autres.
Ces trois pôles se manifestent de manière différente dans chaque pays avec des accents plus ou moins forts sur l’un ou l’autre. Parce que l’extrême droite a une nature de caméléon et est opportuniste. Ses partis savent très bien s’adapter aux situations locales.
Par exemple en Belgique, ils ne vont pas mettre dans le discours public les rôles de l’homme et de la femme parce qu’ils savent que ça ne leur sera pas favorable, mais ils ont leur opinion là-dessus.
Quel risque représente l’extrême droite aujourd’hui en Europe?
Dans la brochure, nous avons fait un focus sur l’emploi et les affaires sociales parce que la plupart des partis d’extrême droite adoptent un discours qui est presque démocrate social. Mais dans les faits, on constate que sur presque toutes les questions sociales, au Parlement européen, ils votent contre les intérêts les plus immédiats des travailleurs, par exemple contre la proposition de directive sur le salaire minimum en Europe, contre les intérêts des travailleurs des plateformes, contre les propositions pour une Europe sociale et une fiscalité juste.
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«La Belgique est le seul pays à disposer d’un cordon sanitaire intersyndical contre l’extrême droite, qui tient depuis plus de 30 ans.»
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Quel est le rôle des syndicats aujourd’hui pour lutter contre l’extrême droite?
Par rapport aux propositions de ces partis néfastes pour les travailleurs et pour toute la population, le mouvement syndical européen affirme: «On sait ce qui se passe et on a des propositions pour l’avenir». Les syndicats doivent notamment informer et démonter les fake news. L’extrême droite nous fait croire qu’une série de choses sont en train de se passer comme par exemple le grand remplacement, comme s’il y avait une dynamique organisée qui remplacerait les citoyens de Belgique ou de France par des migrants. C’est ridicule, mais ces idées sont largement diffusées et c’est compliqué pour la société civile organisée qui doit trouver chaque fois des réponses pour contre-argumenter.
Au-delà de notre mission première de défendre les travailleurs, nous devons revenir à la défense de nos valeurs fondamentales pour lesquelles le syndicat et le mouvement ouvrier se sont battus dès leur origine au 19ème siècle: l’égalité, la démocratie, les droits politiques et civils, la diversité… Aux niveaux européen et international, nous devons réaffirmer les valeurs de solidarité, notre volonté de coconstruire le monde, non pas à partir de visions isolées, nationales et d’exclusion, mais ensemble, par rapport aux vrais défis: le changement climatique, les migrations causées par des injustices immenses…
Pour la première fois dans son histoire, la Confédération européenne des travailleurs (CES) va adopter une charte de valeurs qui sera une condition d’adhésion pour chaque syndicat.
La Belgique est divisée en deux avec une forte montée de l’extrême droite et de la droite extrême en Flandre. Que peut-on faire comme syndicat national?
La lutte contre l’extrême droite, contre le fascisme et pour la démocratie doit être une lutte de tout le monde et une priorité partout. Les syndicats belges sont les seuls en Europe à avoir une charte intersyndicale d’exclusion des membres de l’extrême droite sur le plan national. Ce cordon sanitaire syndical existe depuis 30 ans et il tient la route.
Il est important d’avoir une stratégie et une campagne nationale, même si la situation est plus urgente en Flandre et qu’il faut y développer des accents particuliers. Mais la Wallonie n’est pas isolée du reste de l’Europe et est entourée des influences de l’extrême droite. Ce qui est le plus important dans le contexte transfrontalier, c’est de déconstruire les idées qui sont dans le débat public, notamment en France et au Rassemblement national.
Une stratégie importante est de créer des partenariats notamment avec la Coalition du 8 mai, les ONG, le monde culturel pour une célébration de commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale où on fête la victoire contre le fascisme. Cet événement important s’est déroulé les 7 et 8 mai au Fort de Breendonk, près d’Anvers, qui a servi de centre de détention nazi. Avec la Coalition 8 mai et la CES, la CSC demande que le 8 mai, jour de fin de la Seconde Guerre mondiale, redevienne un jour férié partout en Europe. Pour garder notre histoire en mémoire, pas une histoire juste tournée vers le passé, mais surtout tournée vers l’avenir.
Quel est le rôle des délégués syndicaux par rapport à l’extrême droite?
Chaque militant, délégué, représentant des travailleurs et affilié doit comprendre et pouvoir expliquer que l’engagement social n’est pas compatible avec une adhésion à un parti d’extrême droite ou de droite extrême. Nous devons tous oser nous exprimer, avoir le courage de réagir face à des propos et des pratiques racistes, sexistes, sur des enjeux de démocratie et d’extrême droite. On est là pour défendre les collègues dans l’entreprise, mais aussi des valeurs fondamentales. Des argumentaires existent et sont à la disposition des militants et des délégués. Les formations syndicales sont très importantes pour les y aider.
/Un guide pour les délégués
La brochure explique ce qu’est l’extrême droite, comment elle se manifeste et se profile au Parlement européen et dans différents pays européens, avec un focus particulier sur ses positions par rapport à l’emploi, aux affaires sociales et aux syndicats. Elle explique les stratégies des syndicats dans différents pays pour lutter contre l’extrême droite.
À télécharger sur www.lacsc.be/csc-militant/brochures-pour-les-militants/international