EN DÉBAT /
Les femmes au foyer doivent travailler comme tout le monde
TEXTE Bram Van Vaerenbergh | PHOTO Shutterstock | TEMPS DE LECTURE: 4 MINUTES | SYNDICALISTE 17 MAI 2023
Les déclarations du président de Vooruit, Conner Rousseau, qui veut obliger tous les chômeurs – donc y compris les personnes qui restent chez elles, par exemple pour s’occuper des enfants, et ne touchent pas d’allocations – à accepter un emploi ont choqué bon nombre de gens. Riet Ory, directrice adjointe de l’organisation féministe Femma, et Marte Billen, collaboratrice «genre et égalité des chances» à la CSC, pensent que C. Rousseau sous-estime grandement l’importance du travail non rémunéré.
«Le travail informel est justement la clé de voûte de notre société»
Marte Billen, collaboratrice «genre et égalité des chances» à la CSC
«Tout d’abord, par cette déclaration, Conner Rousseau donne l’impression d’être fameusement déconnecté de la réalité. Il pratique une double discrimination. Les femmes, et plus spécifiquement les femmes issues de l’immigration, ont de toute façon moins de possibilités sur le marché de l’emploi. Cela démontre que le travail informel est gravement sous-estimé, bien qu’il soit la clé de voûte de notre société.»
Les femmes (et les hommes) au foyer accomplissent un travail très important. Elles ne se contentent certainement pas de “se tourner les pouces” jusqu’à ce que les enfants rentrent de l’école. Elles assurent la gestion du ménage et elles sont en permanence exposées à la pression du temps et au stress. Il faut valoriser le travail informel. Il importe qu’elles soient bien informées de leurs droits. Le monde politique devrait se focaliser là-dessus au lieu de stigmatiser certains groupes. Il n’est pas évident de combiner plusieurs responsabilités et une activité professionnelle, surtout parce que le travail informel est encore souvent considéré comme une affaire de femmes. Dès lors, bon nombre de femmes sont moins bien rému-nérées et leur pension est moins élevée.»
De meilleurs services collectifs
«Activer obligatoirement les femmes au foyer ne peut être une solution. Ce pourrait en être une si les services collectifs étaient parfaitement au point, mais ce n’est pas le cas. Il est essentiel que les gens soient financièrement et économiquement autonomes. Une sécurité sociale et un emploi (à temps plein) stables constituent les meilleurs moyens d’y parvenir. Il doit exister des informations claires et intelligibles à ce propos. Il faut rechercher des solutions durables avec les femmes au foyer, en fonction de leurs propres choix. Activer obligatoirement les femmes et les pousser vers un métier – souvent dans des secteurs peu rémunérés et réputés féminins, tels que le secteur des titres-services – n’est pas une solution».
«Rendre visible le travail informel non rémunéré»
Riet Ory, directrice adjointe de Femma
«Le travail informel non rémunéré représente près de 60% du total du travail presté en Belgique. Il s’agit donc du secteur le plus important de notre économie. L’activation est importante, parce que le travail rémunéré constitue une garantie d’indépendance financière et d’un État-Providence sain. Mais les déclarations de Conner Rousseau créent la polarisation, et donc la vulnérabilité. Pourtant, un président doit être un meneur et un facteur d’unité.»
C’est pour cela que Femma demande que l’évaluation de notre progrès social en tant que société tienne compte du travail informel non rémunéré. Il faut rendre celui-ci visible. Nous devons tenir compte de cette priorité au niveau politique. Actuellement, on ne mesure pas l’importance du travail informel. Nous observons ce phénomène lorsque la prise en charge est assurée par des professionnels: ce travail n’est pas perçu comme un “vrai travail” et, de nouveau, les femmes sont fameusement surreprésentées (95% de l’emploi dans les garderies et 98% dans le secteur des titres-services). Les bas salaires sont un des héritages du modèle de soutien de famille où la prise en charge des enfants et des malades était reléguée dans les coulisses de l’économie.
Soyons clairs: Femma ne demande pas de reléguer les femmes au foyer, mais bien une répartition plus équilibrée du travail rémunéré et non rémunéré entre les femmes et les hommes. La réduction de la durée hebdomadaire du travail, que nous avons instaurée nous-mêmes à Femma, n’est qu’une de nos solutions durables pour tenir compte du travail sous toutes ses formes. Pour nous, cette réduction de la durée hebdomadaire du travail est un instrument pour davantage d’égalité économique et sociale entre les femmes et les hommes et entre le travail rémunéré et non rémunéré. Il faut aussi conserver les services publics, tels que les garderies, et mieux les rémunérer. Mais il importe de rechercher un bon équilibre: le mouvement syndical ou – plus largement – la société civile doit aussi être ouvert à des initiatives citoyennes.»
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