L'ACTU /
Les négociateurs de CCT dans les starting-blocks
TEXTE Chris Serroyen | PHOTO Shutterstock | TEMPS DE LECTURE: 6 MINUTES | SYNDICALISTE 17 MAI 2023
Le gouvernement fédéral avait décidé fin mars qu’avant les congés de Pâques de l’enseignement néerlandophone, il ne finaliserait plus que le contrôle budgétaire. Les interlocuteurs sociaux ont donc dû encore faire preuve de patience avant d’obtenir des éclaircissements autour de leur cadre d’accords pour 2023-2024. Le triptyque des réformes dites structurelles (réforme fiscale, réforme des pensions et réforme du marché du travail) a lui aussi été reporté après la période de Pâques et n’est toujours pas finalisé à ce stade. Le gouvernement a par contre a annoncé la couleur en ce qui concerne le cadre d’accords des interlocuteurs sociaux.
Un dossier qui ne fait pas partie du cadre d’accords: celui de la norme salariale zéro avec, à titre dérogatoire, la possibilité d’une «prime pouvoir d’achat», sous la forme de chèques consommation. Nous vous avons déjà informé en détail, notamment de la dernière surprise en date, à savoir le fait qu’il ne sera possible d’utiliser ces chèques que pour les produits et services que l’on peut déjà acheter aujourd’hui avec des chèques-repas ou des écochèques (cf. Syndicaliste n°981). Nous attendions encore les textes juridiques et quelques clarifications parlementaires sur la manière d’interpréter les textes. L’arrêté royal sur la prime pouvoir d’achat a maintenant été publié. Il ne reste plus qu’à attendre l’approbation de la base légale par le Parlement et l’arrêté royal sur la norme salariale zéro. Ces dernières étapes devraient être finalisées au moment où vous recevrez ce Syndicaliste.
Bénéfice sociétal élevé
Le ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Dermagne, a fait une déclaration importante lors de la première discussion au Parlement: les primes pouvoir d’achat peuvent aussi être négociées au niveau sectoriel dans les pouvoirs publics et le non-marchand. Ah bon? Au niveau sectoriel, ne peut-on pas seulement négocier des primes pour les entreprises avec des bénéfices élevés? Ce n’est pas le cas au niveau des entreprises, où il suffit juste de pouvoir présenter des «résultats convenables pendant la crise». Le ministre affirme désormais que les pouvoirs publics et le non-marchand peuvent, au niveau sectoriel, concrétiser à leur propre manière ce qu’ils entendent par «bénéfices». Autrement dit, des «bénéfices sociétaux élevés» sont aussi possibles. Voilà qui est facile à dire. Encore faut-il que les pouvoirs publics soient prêts à faire le pas d’ici la fin de l’année puisque les primes pouvoir d’achat ne peuvent être octroyées que cette année
Accord partiel du gouvernement
Après la trêve pascale, le gouvernement a rapidement pris une décision concernant le cadre d’accords négocié par les interlocuteurs sociaux. Avec une grosse surprise: le gouvernement n’a que partiellement accepté cet accord. Du jamais vu dans l’histoire de la concertation interprofessionnelle bisannuelle. La demande commune de ne pas appliquer l’augmentation des cotisations patronales sur le RCC (les «cotisations Decava») aux travailleurs déjà licenciés antérieurement en vue d’un RCC n’a pas été rencontrée. La diminution des cotisations AMI sur les petites pensions complémentaires ne sera discutée qu’ultérieurement dans le cadre de la réforme des pensions. Il en ira de même pour une possible réduction de la cotisation de solidarité, ce qui est un élément tout à fait nouveau. Et on ne dit pas un mot à ce stade sur les mesures d’accompagnement pour l’augmentation du salaire minimum (de 37,5 euros le 1er avril 2024).
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«Il ne sera possible d’utiliser les chèques consommation que pour les produits et services que l’on peut aussi acheter avec des chèques-repas ou des écochèques.»
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La question des fins de carrière semble réglée
La bonne nouvelle est que, malgré les remous récents autour du RCC, le gouvernement ne fait pas de difficultés par rapport aux accords sur les régimes de fin de carrière. Il n’avait en réalité pas grand-chose à faire, si ce n’est s’abstenir de modifier les AR actuels. Il lui était simplement demandé de modifier l’AR sur le crédit-temps pour permettre l’instauration d’un emploi de fin de carrière à partir de 55 ans après 25 ans de carrière (au lieu de 35 ans) pour les travailleurs des entreprises de travail adapté. Il s’y est engagé. Un travail intensif se poursuit donc au Conseil national du travail afin de préparer les régimes dérogatoires pour le RCC et les emplois de fin de carrière par CCT pour les deux prochaines années. Une nouvelle CCT temporaire est également en préparation concernant l’assouplissement des emplois de fin de carrière dans les entreprises de travail adapté, ainsi que des CCT sur la liaison au bien-être du complément RCC et du supplément pour le travail de nuit sur la base de la CCT n°46 du CNT. Toutes ces CCT devraient entrer en vigueur le 1er juillet 2023.
Les deux contreparties pour les employeurs seront également mises en œuvre correctement. Il s’agit, d’une part, d’une nouvelle CCT de deux ans pour le chômage économique des employés. Cette CCT stipulera que le complément de l’employeur sera majoré de 10% au 1er juillet 2023, passant ainsi de 5,63 à 6,22 euros bruts par jour (le montant sera ensuite indexé). D’autre part, les accords temporaires en matière d’heures supplémentaires seront prolongés de deux ans. Ce point reste à finaliser par le Parlement. Ces deux dossiers sont donc sur les rails.
Moratoire
Pour les employeurs, la partie la plus importante du cadre d’accords était probablement le respect, jusqu’au 1er janvier 2028, du moratoire sur les cotisations sociales et les taxes sur les pensions complémentaires. Ils étaient en effet inquiets suite aux annonces de la ministre des Pensions, Karine Lalieux (dans le cadre de la réforme des pensions) et du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (dans le cadre de la réforme fiscale). Ces inquiétudes sont maintenant dissipées. Le gouvernement a promis de respecter le moratoire, ce qui ne semble pas l’empêcher d’annoncer des mesures pour 2028. Nous devrons veiller à éviter les dégâts pour les travailleurs.
Métier lourd
Pour être complets, nous ne pouvons pas oublier la question qui revient sur la table lors de chaque négociation bisannuelle entre interlocuteurs sociaux: celle de la prolongation de différents régimes temporaires, surtout en ce qui concerne les mesures en faveur des groupes à risques à concurrence de 0,10% de la masse salariale et la prime d’innovation. Ces textes sont également en préparation au niveau du gouvernement.
Ce processus se déroule avec une lenteur qui tape sur les nerfs de tout le monde. En particulier sur ceux de nos négociateurs de CCT, dont les cahiers de revendications sont prêts et qui sont dans les starting-blocks depuis longtemps déjà afin de pouvoir entamer les négociations sectorielles. Ils savent que les négociations seront difficiles et sont de plus en plus conscients du fait que, comme en 2021, une partie de ces négociations ne pourra pas être finalisée pour les vacances d’été. Ils ont aussi deux autres chats à fouetter. Le deal pour l’emploi de l’an dernier oblige les négociateurs sectoriels à conclure, pour le 30 juin, un plan pour lutter contre les problèmes croissants de recrutement de personnel dans les secteurs. Et, d’ici au 30 septembre, une CCT sectorielle doit être conclue afin de concrétiser le droit individuel annuel en matière de formation (4 jours cette année et 5 jours à partir de l’an prochain). Le métier de négociateur de CCT est loin d’être de tout repos!
Une lenteur exaspérante
L’assimilation du chômage corona de 2022 pour les vacances annuelles n’est toujours pas réglée. Grâce à la pression exercée par la CSC, ce dossier a été avalisé sur le plan politique, mais les textes de loi n’ont toujours pas été promulgués. Les caisses de vacances n’ont cependant pas attendu et ont déjà tenu compte de cette assimilation dans le calcul du pécule de vacances des ouvriers. Pour le nombre de jours de vacances et pour le pécule de vacances 2023 des employés, on a toutefois besoin des employeurs. Or, certains employeurs et certains secrétariats sociaux refusent de bouger tant que les textes n’auront pas été publiés au Moniteur belge. Cette lenteur est vraiment exaspérante!
Les travailleurs des entreprises de travail adapté pourront bénéficier d’un emploi de fin de carrière à partir de 55 ans après 25 ans de carrière au lieu de 35 ans.