EN DÉBAT /
Les transports en commun doivent-ils être gratuits pour tous?
TEXTE Véronique Thirifays | PHOTO Shutterstock | TEMPS DE LECTURE: 4 MINUTES | 23 SEPTEMBRE 2023
En mai 2022, la CSC wallonne tenait son troisième congrès afin de discuter de l’avenir de la Wallonie. Entre autres propositions concrètes, elle s’est positionnée en faveur de la gratuité totale des Tec, accompagnée d’une augmentation de l’offre de transports en commun surtout dans les zones rurales. Dans le cadre de la Semaine de la mobilité, la Cellule mobilité de la CSC a rencontré un militant et un permanent sur les initiatives de gratuité des transports en commun dans les régions limitrophes.
«Il faut laisser une part du titre de transport à charge de l’utilisateur»
Daniel Coenen, militant du groupe CSC des Travailleurs sans emploi et de la CSC Seniors, en région liégeoise
Daniel a travaillé dans la logistique et s’est toujours beaucoup déplacé en transports en commun. Sa connaissance sur le sujet est intarissable… Il habite à Jemeppe sur Meuse et est membre du groupe de travail «Transition juste» de la CSC wallonne. Est-il favorable à la gratuité totale? «Non pas tout à fait, il faut laisser une part du titre de transport à charge de l’utilisateur, par respect pour le service public!».
Il s’est intéressé à un exemple récent en matière de quasi gratuité: le «Dein Deutshlandticket». Depuis le 1er mai 2023, en Allemagne, un abonnement à 49 euros par mois permet de se déplacer en illimité dans toutes les sociétés de transports à travers toute l’Allemagne, que ce soit en train, tram, bus ou trolleybus (à l’exception des TGV allemands). L’abonnement peut être chargé sur une carte ou via les applications des opérateurs de mobilité. Il est renouvelé automatiquement, de mois en mois par domiciliation bancaire ou carte de crédit. Il peut aussi être résilié facilement.
Les applications permettent non seulement d’acheter et de gérer le «Dein Deutshlandticket», mais aussi d’utiliser le calcul d’itinéraires dans toute l’Allemagne pour les transports urbains et interurbains. Elles donnent également un accès direct aux offres de vélos, scooters et de voitures partagées. En réalité, les utilisateurs des transports en commun allemands n’ont plus besoin que d’une seule application pour organiser leur mobilité et ils bénéficient en plus d’une flexibilité maximale. Ce qui est appréciable, car en Allemagne, chaque Länder dispose de ses sociétés de transport, certaines publiques, d’autres privées. Un exemple tout proche de la Belgique: l’association des transports dans le réseau de la Rhénanie du Nord Westphalie comprend 18 grosses sociétés (sans compter les sociétés sous-traitantes) pour environ 18 millions d’habitants et une superficie d’environ 34.000 kilomètres carrés.
Cette nouvelle formule à 49 euros par mois va-t-elle convaincre les Allemands de renoncer à leur voiture? L’avenir le dira… Du 1er mai au 15 juin 2023, 11 millions d’abonnements ont été délivrés, dont 8% d’ acheteurs qui n’avaient jamais utilisé le rail avant.
Et en Belgique, que trouve-t-on pour (moins de) 49 euros par mois? Selon Daniel, il y a l’abonnement mensuel Stib, l’abonnement mensuel Tec Horizon, sauf lignes express (25-64 ans), l’abonnement mensuel De Lijn Omnipass (25-64 ans) en Flandre et à Bruxelles.
Mais en train, souligne Daniel, l’abonnement mensuel pour le trajet aller-retour de Jemeppe-sur-Meuse à Liège Guillemins revient déjà à 56 euros par mois!
«La gratuité au-delà des frontières»
Pierre Conrotte, permanent pour le service frontalier à la CSC de la Province de Luxembourg.
«La province de Luxembourg a cette particularité de voir une partie grandissante de sa population partir travailler au Grand-Duché de Luxembourg. Il est donc impératif d’intégrer la vision de la mobilité telle qu’elle se pratique au Grand-Duché.»
Pierre anime le comité frontalier intersyndical CSC-LCBG et le groupe de travail Mobilité de la fédération. Composé de militants interprofessionnels et de délégués de différentes entreprises, ce comité se réunit régulièrement afin d’établir un état des lieux et prioriser les revendications auprès des autorités locales, provinciales et régionales.
Depuis le 1er mars 2020, les transports publics sont gratuits au Luxembourg pour tous les modes de transport, qu’il s’agisse des tramways, des trains ou des bus, sur l’ensemble du territoire national (sauf en première classe). Cette mesure s›applique aux résidents, aux travailleurs transfrontaliers et aux touristes.
«La gratuité des transports en commun au Grand-Duché du Luxembourg est un vieux projet. Sa particularité est de s’inscrire au travers du prisme de l’aménagement du territoire, du logement, des pôles d’activité. Les embouteillages n’ayant fait que s’accroître vers Luxembourg ville, il a fallu construire des gares supplémentaires, lancer le projet du tram et enfin le projet des bus afin d’attirer les automobilistes vers d’autres modes de transport.»
Dans son Plan national de mobilité pour 2035, le ministère luxembourgeois de la Mobilité vise à augmenter de 50% le nombre de passagers de transports en commun par rapport à 2017. Ceci implique notamment que tous les citoyens doivent disposer d’un arrêt de bus à partir de 15 minutes de leur habitation. Le but est aussi de mettre en place des pôles d’échanges et des priorisations pour les bus à l’entrée et dans la traversée des agglomérations. Le calcul est simple: avec un taux d’occupation moyen de 1,2 personne par voiture privée, un bus rempli de 54 passagers remplace une file de 45 voitures! Le Luxembourg a aussi des plans pour augmenter la part modale du vélo et les entreprises doivent également faire leur part du boulot, en mettant en place des plans de déplacement.
Qu’inspirent tous ces projets et réalisations luxembourgeois du côté belge? Voici quelques revendications du Comité frontalier de la CSC Luxembourg et du groupe mobilité:
• Extension de la gratuité à partir des gares d’Arlon, Virton, Marbehan vers le Luxembourg (elle existe déjà à partir de Libramont pour les frontaliers et trajet sans rupture de charge).
• Aires de stationnement (P+R Viville à Viville), développement de zones de parking en dehors de la ville d’Arlon.
• Accroitre l’offre multimodale (comme le P+R à Rodange).
• Développement de l’offre de bus à destination du Grand-Duché de Luxembourg.
• Augmenter l’offre vélo/train:
- en accueillant plus de vélos dans des compartiments dédiés et sécurisés. Box sécurisés en gare de départ et de destination. Mise à disposition de vélos par les employeurs + infrastructures, sensibilisation des employeurs à ce modèle;
- en construisant de nouvelles pistes cyclables pour accéder aux gares frontalières.