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EN ACTION /

Mobilisations intersyndicales contre l’austérité

TEXTE & PHOTO François Reman

20.000 personnes ont défilé dans les rues de Paris le vendredi 13 octobre pour protester contre les plans de l’Union européenne visant à réintroduire l’austérité. Ce plan forcerait certains pays européens à réduire leurs dépenses pour un total de 45 milliards d’euros rien que l’an prochain. Une prochaine action est programmée à Bruxelles le 13 décembre.

La CSC et d’autres organisations syndicales se sont naturellement jointes à cette journée d’action, qui visait également à réclamer une hausse des salaires, des pensions décentes et l’égalité femmes-hommes. Cette manifestation s’inscrit dans une mobilisation large des syndicats membres de la Confédération européenne des syndicats (CES) qui veut empêcher le retour de l’austérité européenne.

Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, était présente à la journée d’action. Pour elle, l’austérité «se traduit déjà notamment par un manque de financement pour l’accueil de l’enfance et pour l’école. Il n’existe quasiment plus de possibilité d’investir. Or, il est urgent de préparer les transitions économiques et environnementales et de préparer l’avenir des travailleurs ainsi que des générations futures».

Réductions drastiques

À partir du mois de janvier, 14 États membres, dont la Belgique, pourraient devoir drastiquement réduire leurs dépenses ou les compenser en levant un montant équivalent par le biais de la fiscalité au titre du nouveau pacte de stabilité et de croissance. Pour Esther Lynch, secrétaire générale de la CES, «le pire est que ces plans visant à rétablir l’austérité interviennent alors que les bénéfices des entreprises et les dividendes des actionnaires ont atteint des niveaux records, augmentant jusqu’à 13 fois plus vite que les salaires».

Les règles budgétaires de l’Union européenne avaient été suspendues en 2020 pour faire face aux retombées économiques de la pandémie, mais elles devraient être rétablies en janvier 2024. Même s’il existe des propositions pour changer ces règles, elles impliqueraient toujours que les États membres dont le déficit budgétaire excède 3% du PIB le réduisent d’au moins 0,5% du PIB chaque année.

La CES demande que la suspension des règles budgétaires de l’Union européenne soit prolongée une année de plus afin de permettre l’ouverture d’un débat en bonne et due forme sur les conséquences de l’austérité et ses alternatives.

Revendications communes

Pour la CES, davantage d’emprunts européens communs et une règle d’or en matière d’investissements publics sont nécessaires afin d’assurer que les pays puissent procéder aux investissements indispensables à la transition vers une économie verte et numérique, tout en maintenant un niveau adéquat de dépenses courantes. Ces revendications seront une nouvelle fois rappelées le 13 décembre à Bruxelles lors d’une action des organisations syndicales des pays de l’Union européenne.

/Manifestation européenne à Bruxelles

Rendez-vous le 12 décembre dès 10h place Poelaert (devant le Palais de Justice) à Bruxelles. Départ de la manifestation à 11h.

/Les nouvelles règles budgétaires européennes doivent permettre des investissements et une politique sociale

TEXTE Renaat Hanssens, service d’études CSC (31.10.2023)

Lorsque la pandémie de Covid-19 s’est déclenchée, la Commission européenne (CE) a immédiatement compris que la rigueur des règles budgétaires existantes ne permettrait pas de combattre la crise. L’application de ces règles a été suspendue et la Commission jugea immédiatement que l’heure d’une remise en cause radicale était venue.

Après de larges consultations, une proposition qui comportait, à première vue, plusieurs améliorations, était lancée fin novembre 2022. Depuis lors, les «durs» au sein du Conseil des ministres de l’Économie et des Finances et du Parlement européen tentent systématiquement de faire annuler certains assouplissements proposés. La Confédération européenne des syndicats (CES) craint que les négociations entre le Conseil et le Parlement européen ne débouchent pas sur une proposition acceptable. Les nouvelles règles doivent en effet laisser une marge budgétaire pour les investissements indispensables dans la transition. Cette marge ne peut en aucun cas provenir d’économies dans les services publics ou dans la politique sociale.

Le Traité de Maastricht et le Pacte de stabilité et de croissance

Les règles budgétaires européennes ont été instaurées lors de la création de l’Union monétaire européenne et de l’euro par le Traité de Maastricht en 1992. Les règles de base imposent un plafond de respectivement 3% du Produit intérieur brut (PIB) pour le déficit budgétaire et 60% du PIB pour la dette publique. La conclusion du Pacte de stabilité et de croissance en 1997 a conduit à ajouter progressivement des règles plus strictes et très complexes. La surveillance est devenue plus stricte, rendant le cadre budgétaire contraignant. Les derniers durcissements datent de 2011 et 2013. La zone euro risquait alors de s’effondrer à cause de l’explosion des dettes publiques dans quelques États membres confrontés à la nécessité de sauver quelque grandes banques engluées dans la crise financière.

La zone euro doit alors son salut à la politique courageuse du président de la Banque centrale européenne (BCE) de l’époque, Mario Draghi, plutôt qu’à la rigueur des règles budgétaires. Ce dernier annonça qu’il «prendrait toutes les mesures nécessaires» pour combattre la spéculation contre les obligations d’État des États membres affaiblis. Le durcissement des règles budgétaires en 2011 a par exemple contraint notre pays à avoir un budget en équilibre et à réduire le taux d’endettement d’environ 2% chaque année. Lors d’années de très faible croissance, les économies à réaliser ont été très pénibles.

La proposition de la Commission européenne

La CE a publié sa proposition pour une réforme des règles budgétaires en novembre 2022. La proposition comportait plusieurs modifications qui, à première vue, semblaient intéressantes. Ainsi, elles mettent fin à la règle absurde selon laquelle un État membre devait réduire chaque année d’un vingtième la partie de sa dette qui dépasse 60% du PIB. Selon ce principe, les États membres confrontés à une dette publique très élevée étaient contraints de mener une politique d’austérité intenable qui risquait de tuer la croissance économique. La méthode dure utilisée en Grèce lors de la crise de la dette en a été la douloureuse démonstration. Cette règle est remplacée par une autre, selon laquelle les États membres dont la dette publique dépasse 60% du PIB doivent ramener celle-ci à une trajectoire en diminution, après une période d’adaptation. Après cette période d’adaptation de 4 ou 7 ans, le déficit public doit lui aussi être ramené à moins de 3%. En outre, les objectifs ne sont plus imposés uniquement en termes théoriques, tels que le «déficit structurel» (1). Après une proposition de la Commission, chaque État membre pourrait négocier avec celle-ci une trajectoire pour la croissance des dépenses publiques nettes, c’est-à-dire les dépenses publiques abstraction faite de la charge d’intérêts de la dette, de la partie des dépenses pour le chômage qui dépend des variations conjoncturelles et des dépenses supplémentaires couvertes par de nouvelles recettes publiques. À cet effet, les États membres doivent établir un plan quadriennal ou septennal. Ce plan stipulera les économies ou recettes nouvelles qui permettront de respecter cette trajectoire des dépenses publiques. Il mentionnera également les investissements publics programmés, notamment dans le cadre du Green Deal et de la numérisation, mais aussi comment les anciennes recommandations ou le socle européen des droits sociaux seront pris en compte.

La proposition de la Commission présente un défaut: elle n’a pas abrogé la règle (arbitraire) des 60% pour la dette publique. Les pays dont la dette est très soutenable (disons 75% du PIB) doivent alors eux aussi réduire celle-ci. À une époque où il faut travailler d’arrache-pied pour assurer la neutralité carbone de notre économie, ce choix n’est pas intelligent. Il n’est pas question non plus d’une «règle d’or» pour les investissements publics. Dès lors, le déficit public ne tient pas compte des dépenses pour de nouveaux investissements. Enfin, les États membres doivent faire en sorte de réaliser tout l’effort budgétaire au cours d’une période d’adaptation de quatre ou sept ans. Par la suite, les critères doivent être respectés automatiquement, sans mesures supplémentaires: la dette doit continuer de diminuer et le déficit doit rester inférieur à 3%. Puisqu’il s’agit d’une période future, la méthode de calcul de la dette prévue stipule aussi qu’il faut tenir compte de toutes sortes de scénarios-catastrophes. De ce fait, l’excès de prudence conduira à une politique budgétaire réservée qui risque de saper le développement économique et les marges pour des investissements.

Les ministres des Finances veulent des règles plus strictes

Avant même que la Commission n’ait formalisé sa proposition en un projet de directive, plusieurs États membres ont exigé en Conseil des ministres des garanties plus solides que les États fortement endettés réduisent leur dette plus rapidement. À la fin de la période d’adaptation, la dette devrait par exemple déjà avoir diminué; les États membres dont le déficit reste supérieur à 3% doivent le réduire d’au moins 0,5% chaque année. En outre, la dette doit diminuer chaque année d’un certain pourcentage du PIB tant que le seuil de 60% n’est pas atteint. Nous voyons réapparaître ici la crainte obsessionnelle de la dette publique et des déficits budgétaires, qui affecte des pays comme l’Allemagne. On se désintéresse de la réalité: le sous-investissement dans les infrastructures publiques pèse lourdement sur la croissance domestique. On oublie aussi que la proposition de la Commission imposera dès à présent des économies radicales à de nombreux pays membres et que tout ceci pèsera lourdement sur l’économie de toute la zone euro.

L’impact des plans pour la Belgique

Le Bureau du Plan a calculé dès janvier l’impact des projets de règles pour la Belgique. Selon la durée de la période d’adaptation (quatre ou sept ans), notre pays devrait réaliser un effort de 4% (24 milliards) ou 4,8% (28,8 milliards) du PIB. Il s’agirait donc d’un assainissement continu de 1% (quasiment 6 milliards par an) ou 0,7% du PIB (plus de 4 milliards par an) pendant quatre ou sept années consécutives.
En tant que syndicats, nous sommes également convaincus de la nécessité de réduire nos déficits budgétaires afin que la dette reste gérable. Toutefois, étouffer notre économie par une politique d’austérité extrêmement stricte n’est pas la bonne méthode pour atteindre cet objectif. Nous espérons pouvoir convaincre le monde politique belge de la nécessité de revoir en profondeur les projets de nouvelles règles budgétaires, afin que notre pays et d’autres, tels que la France et l’Italie, restent intraitables en Conseil des ministres.

Faire entendre votre voix lors de la manifestation syndicale du 13 décembre peut aussi y contribuer!

(1) On entend par «déficit budgétaire structurel» le déficit budgétaire, abstraction faite des recettes et des dépenses non récurrentes, et de la partie des recettes (en moins) et des dépenses (supplémentaires) due à une conjoncture économique positive ou négative.

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