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L’ENTREVUE /

Guy Van Hyfte, CSC Services publics, sur les conditions sociales dans le transport privé par autobus et autocar

Texte - A-C M-L // Photos - Shutterstock, Mylène Bianchy // PRINTEMPS 2022 // TEMPS DE LECTURE: 5 MINUTES

Pour quelles raisons le thème des conditions sociales dans le transport privé par autobus et autocar a-t-il fait l’objet d’une étude à dimension européenne sponsorisée par la Commission européenne ?

Le secteur du transport privé par autobus et autocar est assez peu mis en avant par rapport au secteur du transport routier de marchandises ou des transports en commun publics. Cela ne fait d’ailleurs que quelques années qu’il est considéré comme un sec­­- teur à part entière à la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF). C’est un secteur assez déroutant : en Belgique, il recouvre deux sous-secteurs spécifiques de la Commission paritaire 140 (transports), plus petits que celui des camions. Quand la Commission européenne a lancé un appel à projets concernant ce secteur peu visible, nous avons sauté sur l’occasion pour proposer une analyse des conditions sociales du secteur dans 11 pays européens ainsi que la création d’une boîte à outils reprenant les bonnes pratiques répondant aux problématiques identifiées dans l’analyse. Le projet a été accepté et s’est conclu par une conférence d’une journée, le 15 mars 2022, en présence de toutes les parties prenantes.



« La crise sanitaire a eu de lourdes conséquences économiques et sociales sur le secteur et cela se ressent encore aujourd’hui. »

Guy Van Hyfte, CSC Services publics


Comment se porte le secteur des autobus et des autocars en Belgique ?

Selon les chiffres de l’ICB, le secteur privé de l’autobus et de l’autocar comptait 447 entreprises et employait 11.588 chauffeurs en 2019, dont 7.389 équivalents temps plein. On y dénombrait 8.600 véhicules environ dont la grosse majorité était affectée au transport irrégulier (transport scolaire par ex.) et de tourisme. En termes de poids économique, ce secteur pesait pour plus d’un milliard deux cent septante-cinq millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019, en diminution d’environ 10 % par rapport à l’année précédente. En effet, entre 2008 et 2019, 45 % des entreprises privées de trans- port par autocar et autobus ont disparu pour cause de faillite ou de rachat par de plus grands groupes (comme Keolis ou Coach Partners). Cette libéralisation du secteur et la compétition féroce qu’elle a engendrée ont tiré les conditions de travail vers le bas. Les frais de personnel étant les plus importants dans le coût d’un transport, la recherche outrancière de maximisation du profit a pour effet une optimisation désastreuse de la force de travail, une tendance que la pandémie a renforcée. La crise sanitaire a eu de lourdes conséquences économiques et sociales sur le secteur et cela se ressent encore aujourd’hui. Le transport touristique a été complètement mis à l’arrêt pendant de longues périodes et le transport irrégulier a connu des hauts et des bas. En Belgique, les interventions financières spécifiques ont permis aux entreprises (plus qu’aux chauffeurs) d’amortir quelque peu l’impact économique de la pandémie. Le secteur a pu se maintenir tant bien que mal à flot. Cela n‘a pas été le cas dans tous les pays analysés. Shearings, par exemple, une compagnie anglaise, a dû licencier 2.200 chauffeurs dès le mois de mai 2020 ! Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. En outre, de nombreux chauffeurs ont été obligés de trouver un autre emploi pour éviter de tomber dans une grande précarité. En moyenne, les chauffeurs ont perdu 400 € nets par mois en Europe durant la pandémie. La majorité ne retravaillera plus pour le secteur car ils ont trouvé de meilleures conditions de travail ailleurs. La force de travail du secteur a diminué de 11 % en Belgique, ce qui engendre actuellement une pénurie de chauffeurs et soumet à un stress important les collègues restants.

/Autobus ou autocar ?

Ce sont deux moyens de transport différents. L’autobus comporte des places assises et debout et parcourt des trajets plutôt courts en milieu urbain. L’autocar ne comporte que des places assises et est utilisé pour les trajets plus longs et internationaux. En Belgique, le secteur privé des autobus englobe les firmes privées travaillant pour le TEC et De Lijn. La STIB ne travaille pas avec des sous-traitants.

Comment décrire les conditions sociales dans ce secteur ?

Les conditions de travail et les salaires ne sont globalement pas bons. L’environnement compétitif auquel je faisais référence a eu pour conséquence la multiplication de contrats atypiques et de situations structurelles de sous-effectif entraînant un surcroît permanent de travail, des salaires très bas et des perspectives limitées ou inexistantes d’évolution. Dans beaucoup de pays, il est compliqué de vivre d’un seul salaire de chauffeur de bus ou de car et de combiner harmonieusement sa vie privée et professionnelle. Pour vous donner idée plus précise de la situation, quelques exemples concrets : • Les salaires horaires sont très bas et souvent variables. Je me rappelle d’une dame conduisant un véhicule scolaire. Après 24 ans d’ancienneté, elle gagnait 14,9 € bruts par heure. Beaucoup de chauffeurs ne savent tout simplement pas vivre de leur profession. Certains sont obligés de travailler de longues heures et d’empiler les heures supplémentaires pour obtenir un salaire correct à la fin du mois. • Dans le transport scolaire, les CDD sont monnaie courante. Les contrats s’arrêtent pendant les vacances scolaires. Les chauffeurs concernés travaillent en horaires coupés durant leur CDD et se retrouvent au chômage entre chaque CDD. Au Danemark, seules les heures de conduites sont payées. Vous pouvez imaginer que ce n’est pas facile de s’organiser financièrement et personnellement dans ces conditions. • Les chauffeurs de cars de tourisme peuvent être en mission plusieurs jours d’affiliée. Ils doivent parfois loger dans des conditions inadéquates (différentes des clients qu’ils véhiculent). Ils doivent nettoyer leur car à l’intérieur et à l’extérieur et faire le plein durant leurs heures de repos. Certains n’ont donc pas assez de temps pour réellement se détendre et dormir. Cette situation mine la santé du chauffeur et peut engendrer un danger réel pour tous les usagers de la route. Il n’est pas rare qu’il leur reste 4 à 5 heures de sommeil avant de reprendre le volant. Sur des trajets longue distance où 12 jours de travail d’affilée sont possibles, cela ne fait que 60 heures de sommeil… • En cas de maladie, beaucoup se retrouvent au chômage temporaire. Leur entreprise préfère déclarer un manque de travail plutôt que de leur payer un salaire garanti. Et les indemnités de chômage sont nettement moindres qu’un salaire. • Les horaires sont connus (et annulés) très tard. Les chauffeurs ont donc des difficultés à s’organiser dans leur vie privée et prendre des rendez-vous chez le médecin, à la banque ou à l’administration. Il est très courant de ne prendre connaissance de son horaire hebdomadaire que la veille. • En Tchéquie, en Italie ou aux Pays-Bas, beaucoup de chauffeurs retraités continuent à conduire un bus ou un car pour complémenter leur pension. L’utilisation de travailleurs retraités permet aux employeurs d’être exemptés de contribuer en tout ou en partie à la sécurité sociale. Cela explique leur prépondérance dans le secteur. Partout en Europe, le secteur privé de l’autobus et de l’autocar a tendance à prendre de l’âge. Selon l’ICB, la moyenne s’établit autour de 51 ans en Belgique. Plus d’un quart des nouveaux entrants a plus de 55 ans. Cela engendre un cercle vicieux car leur présence empêche potentiellement l’entrée de plus jeunes candidats.

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Qu’en est-il au niveau des onze pays européens analysés ?

Les conditions sociales dans le secteur dérivent principalement de la législation européenne. Cette dernière impose des seuils minimaux que les différents pays peuvent dépasser. En pratique, on constate que beaucoup de pays s’en tiennent au minimum et il existe de grandes disparités entre eux en termes de sécurité sociale (chômage, maladie et retraite). Les conditions de travail sont donc très différentes d’un pays à l’autre.

Il ressort de notre analyse que la Scandinavie peut globalement servir d’exemple au secteur. La Tchéquie et la Slovaquie ferment la marche des pays sondés. Les conditions sociales dans ce secteur sont les plus médiocres.

La Belgique se trouve au milieu : le secteur dispose de 3 types de barèmes selon le transport considéré, les salaires sont indexés et les conditions de travail plutôt moyennes. Par contre, comme le niveau de vie est plus élevé que dans la majorité des autres pays, les chauffeurs ne sont pas si bien lotis que cela en a l’air à première vue.

/Aptitude à la conduite

En Europe, pour garder leur permis de conduire, les chauffeurs de bus et de cars doivent être en bonne santé générale. Pourtant, on constate que certains chauffeurs n’hésitent pas à contourner leurs obligations pour garder leur travail car ils ne peuvent se permettre d’arrêter de travailler pour des raisons financières. La sécurité sociale ne compense pas toujours une éventuelle perte de revenus pour raison médicale.

Il est important de protéger les chauffeurs d’eux-mêmes. Pour se faire, une piste est de renforcer l’implication de la médecine du travail et s’assurer de l’existence d’un système de compensation acceptable en cas d’arrêt involontaire et définitif de travail pour cause de maladie. En Belgique, le chauffeur doit posséder une attestation médicale d’aptitude à la conduite en plus du permis et du certificat d’aptitude professionnelle. La validité de l’examen médical est de 5 ans, ce qui est très, voire trop long, surtout pour des chauffeurs plus âgés. Une compensation dégressive est prévue pour les pertes de permis avant l’âge de 60 ans. Si la maladie survient après 60 ans, il n’y a pas de compensation.

Au niveau juridique, ce sont des directives et règlements européens qui encadrent les législations nationales sur les permis de conduire relatifs aux transports de personnes par route effectués par autobus et autocar. Nous participons régulièrement aux projets de la Commission européennes dans le but d’encore et toujours améliorer le cadre législatif. La sécurité de tous est en jeu.

« Les bonnes pratiques nous permettent de rester optimiste quant aux possibilités d’améliorer les conditions sociales dans le secteur et le rendre plus attrayant. »


Quels sont les défis rencontrés par les organisations syndicales pour améliorer les conditions sociales dans le secteur ?

En Belgique, il est difficile d’entreprendre de grandes actions. C’est un petit secteur. Il faut que les employeurs soient volontaires pour améliorer les conditions de travail de leurs chauffeurs. De plus, le travail de chauffeur est un travail effectué sur la route en solitaire. Cela rend la mobilisation des travailleur très compliquée.

Il s’agit donc d’une part d’augmenter la visibilité du secteur et d’autre part d’entreprendre des actions en collaboration avec toutes les centrales et acteurs concernés pour avoir plus de poids dans les négociations.

Nous avons choisi de clôturer notre projet subventionné par la Commission européenne en organisant une grande conférence à laquelle tous les acteurs nationaux ou européens ont été conviés. Ce genre d’action augmente la visibilité du secteur.

Notre analyse a montré que le dialogue social et la conclusion de CCT sectorielles sont cruciaux pour améliorer les conditions de travail. Les conventions collectives de travail, surtout sectorielles et nationales, permettent de lisser les insuffisances législatives et éliminer les problématiques dérivant de tendances économiques préjudiciables au travailleur.


« Notre analyse a montré que le dialogue social et la conclusion de CCT sectorielles sont cruciaux pour améliorer les conditions de travail. »

Guy Van Hyfte


Quelles sont les revendications d’ETF pour le secteur ?

Elles sont nombreuses mais je voudrais en souligner quelques-unes en particulier :

• Une augmentation du salaire horaire.
• Un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et privée.
• Une meilleure organisation du travail.
• Une solution au manque criant de chauffeurs, y compris de jeunes chauffeurs et de femmes.
• Un meilleur contrôle de l’application des règlementations existantes.

Quelques mots sur le contrôle de ces règlementations ?

On remarque que peu de cars et de bus sont contrôlés par rapport aux camions. Le contrôle du respect de la législation sur le travail, de la législation sociale et de la conformité du véhicule est crucial pour faire évoluer les choses dans le secteur. Beaucoup d’employeurs tablent sur le fait qu’ils ne se feront pas contrôler ou que les sanctions appliquées seront faibles, ce qui engendre une augmentation du dumping social et de l’insécurité au sens large du terme. Sans compter que le chauffeur est tenu pour responsable de ses actes en cas de problème.

Les autorités de contrôle rechignent souvent à arrêter des bus ou des cars pour les contrôler sous prétexte qu’ils transportent des personnes (et pas des marchandises) et qu’il faut donc s’occuper de ces dernières durant le contrôle. C’est une explication que je ne peux accepter. Il suffit de s’organiser en conséquence.

/Les bonnes pratiques dans le secteur

Notre boîte à outils en répertorie toute une série en réponse à des problématiques spécifiques. Ces bonnes pratiques nous permettent de rester optimistes quant aux possibilités d’améliorer les conditions sociales dans le secteur et le rendre plus attrayant.

En voici quelques-unes :

• En Italie, un accord a été négocié avec Flixbus. Cette entreprise, dominante sur le marché italien, ne travaille qu’avec des sous-traitants. Elle a accepté de faire respecter la CCT sectorielle nationale par tous ses partenaires en Italie et d’en vérifier la bonne application.
• Aux Pays-Bas, pour augmenter l’attrait du secteur aux jeunes chauffeurs de 20 ans (ou moins), ces derniers bénéficient de jours de congés supplémentaires.
• En Espagne, les syndicats du transport sont impliqués dans des projets et mesures visant à augmenter l’attrait du métier aux femmes. Ils négocient des plans d’égalité pour améliorer les conditions de travail des femmes, les rendre égalitaires par rapport à celles de leurs collègues masculins, diminuer les discriminations à l’embauche, à la promotion et salariales.
• Au Danemark, une CCT sectorielle prévoit, sous certaines conditions bien précises, de payer un chauffeur devant s’absenter pour s’occuper d’un enfant malade.
• En Suède, une seule CCT a été adoptée pour les 3 types de transport privé de bus et de car. Tous les chauffeurs sont payés de la même manière. Cette situation permet d’éviter pas mal d’abus et augmente la transparence salariale.
• En Belgique, les syndicats ont négocié le fait qu’un chauffeur véhiculant au moins 20 passagers a le droits de prendre un repas aux frais de l’employeur dans certains établissements.
• En Slovaquie, une compensation financière est prévue par heure de conduire dans des conditions de température de l’air atteignant ou dépassant 26°C.

/Guy Van Hyfte

Marié, père de deux enfants, beau-père de deux enfants et grand-père de deux petits-enfants
Chauffeur d’autocar à l’international pendant 20 ans
Président du groupe de travail transport de personnes à l’ETF
Secrétaire du CEE (conseil d’entreprise européen) de Keolis
Membre de la CSC Services publics

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