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/Saskia Van Uffelen responsable des technologies de l’information, plaide en faveur de l’économie numérique

La numérisation du marché du travail est-elle une bénédiction ou une malédiction ? Selon Saskia Van Uffelen, cadre en informatique et oratrice principale du prochain congrès de la CSC-Transcom sur ce thème, l’importance de la transformation numérique ne peut être surestimée. Plus encore : une véritable accélération est nécessaire.

L’ENTREVUE /

Tout le monde ne partage pas votre point de vue selon lequel la numérisation du marché du travail est une aubaine

L’inconnu rend mal-aimé. Et l’existence des fake news ne contribue pas à apaiser la peur de l’inconnu. C’est pourquoi il serait préférable d’apprendre aux jeunes à l’école à faire la distinction entre les vraies et les fausses nouvelles, au lieu de les occuper avec des livres traitant de Napoléon. Pour en venir à l’essentiel : il est évident qu'il faut moins de guichetiers si l’on automatise leur travail, pour ne citer qu’un exemple. Mais examinons la situation dans son ensemble. Chaque emploi qui disparaît est remplacé par 2,7 autres emplois.

D’autres emplois…

Oui, mais l’essentiel est que la digitalisation n’aura pas d’impact négatif sur le nombre d’emplois. En fait, les chiffres de ‘Be The Change’ (ndlr : l’équipe de la fédération sectorielle Agoria qui suit l’évolution de notre marché du travail depuis 2018) nous apprennent que le nombre d’offres d’emploi non pourvues ne fait qu’augmenter. Cela s’explique en partie par le vieillissement de la population et le fait que moins de jeunes soient diplômés mais il existe aussi un énorme décalage dans notre pays entre la manière dont le skilling, reskilling et upskilling1 des compétences sont effectués et les compétences dont nous aurons besoin à l’avenir. Il n’y a pas assez de travailleurs pour pourvoir certains emplois.

Une deuxième réflexion que je voudrais faire est que nous commençons à accorder une importance croissante au bien-être et à la prospérité. À juste titre. Est-il encore nécessaire d’imposer à quelqu’un de déplacer des piles de papier de gauche à droite ? Je ne veux pas dénigrer cette occupation mais est-elle vraiment passionnante ? Utilisons la technologie pour rendre les emplois plus attrayants, en ce compris les emplois insalubres et dangereux.

Enfin, il y a aussi les attentes du monde qui nous entoure. Dans les pays scandinaves, les gens ont commencé à investir dans la connectivité mobile bien avant nous. En tant que PDG de l’entreprise suédoise de télécommunications Ericsson, j’ai vécu ce processus aux premières loges.
Les Scandinaves ont une culture de grande inclusion sociale mais ils vivent aussi à de grandes distances les uns des autres.
Il est donc important de pouvoir communiquer facilement les uns avec les autres. Un exemple intéressant de la manière dont le Danemark relève ce défi est la transformation des bibliothèques en centres où l’on peut toujours lire le journal, mais aussi remplir sa déclaration d’impôts en ligne ou aller récupérer son courrier, maintenant que le dernier bureau de poste a fermé ses portes.

Ce dernier exemple illustre immédiatement le fait que la concurrence ne vient plus de l’intérieur mais d’autres secteurs.

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« Imaginez que nous n’ayons pas été connectés pendant la pandémie de coronavirus »

Je retiens donc que l’apprentissage tout au long de la vie et le développement personnel devraient devenir la norme ?
Je n’aime pas vraiment le terme d’apprentissage tout au long de la vie. J’associe l’expression « tout au long de la vie » à une punition qu’il vaut mieux ne pas recevoir. Le terme d’apprentissage continu semble plus positif. Ce n’est pas une punition mais un moyen de rester actif sur le marché du travail. Et vous pourriez ainsi trouver un emploi plus fascinant ou plus sain. Je suis un boomer. Les gens de ma génération ont pu poursuivre leurs études après le lycée, éventuellement obtenir un diplôme plus élevé et finalement travailler dans le domaine pour lequel ils avaient étudié. La génération de mes enfants n’a pas de plan de carrière de ce type. Ils choisissent d’étudier sans savoir ce qu'ils veulent faire plus tard. Après leurs études, ils partent d’abord en voyage autour du monde, pour ensuite commencer d’autres études sans aucun lien avec les premières. Puis, ils signent un contrat de travail avec une entreprise où ils n’ont pas besoin des connaissances qu’ils ont acquises à ce moment-là.

Le rôle de l’individu/du travailleur, mais aussi celui du gouvernement, de l’enseignement et des employeurs va-t-il changer ?
L’ensemble de l’écosystème devra s’adapter et chaque acteur recevra un rôle différent. Prenons l’exemple du gouvernement qui est en charge de l’administration de ses citoyens. Est-ce encore son rôle ?

« Chaque emploi qui disparaît est remplacé par 2,7 autres emplois »

Saskia Van Uffelen

Poser la question, c’est y répondre ?
Voilà. Le rôle de l'université est encore de guider les gens à un moment de leur vie, mais cette idée - comme le modèle de financement des universités, basé sur le nombre d'étudiants et la recherche - n'est plus en phase avec les besoins d'aujourd'hui. Le monde de l'entreprise doit apprendre à penser et à travailler de manière transversale. Je constate à Agoria que parmi les anciens membres industriels, il y a encore beaucoup d'entreprises à convaincre de l'importance de la transformation. Mais entre-temps, chaque entreprise est en train de devenir une entreprise numérique. Le gouvernement a alors plutôt un rôle à jouer en tant que coordinateur dans une économie de données, plutôt que de continuer à s'occuper lui-même de l'administration.

Quel est le rôle des syndicats dans l’histoire numérique ?
Tout comme le rôle de leurs militants. Je ne dis donc pas du tout qu'il va disparaître, mais qu'il doit être révisé.

Vous aimez souligner que la crise du coronavirus a accéléré la transformation numérique, ce qui a empêché l’économie de sombrer
Dans mon livre « Oser demain », publié juste avant l’éclatement de la crise du coronavirus, j’ai écrit que j’espérais qu’il ne faille pas qu’une guerre éclate pour que nous nous rendions compte qu’un certain nombre de choses doivent être changées. Et non, je ne suis pas visionnaire mais entre-temps, nous avons vécu une guerre. Et une autre guerre est encore en cours. Heureusement, pendant la pandémie, nous avions la technologie, nous vivions dans un monde connecté et nous pouvions encore nous chauffer à des prix abordables. Imaginez que nous n’ayons pas été connectés. La crise sanitaire aurait alors vraiment eu un impact économique gigantesque.

Pourtant, il n’y a pas eu de véritable accélération de la transformation numérique. Je constate seulement que les gens sont devenus plus conscients de la nécessité du changement. Ils ont également remarqué que pendant la période de la Covid-19, ils ont en fait très bien travaillé. Très efficacement. Et plus en phase avec leur vie de famille. Il s’agit maintenant d’en tirer parti. Mais quand j’entends le PDG d’une très grande entreprise en France dire : « Il est temps que tout le monde revienne au bureau parce que sinon, il n’y aura pas de travail », je ne comprends pas comment l’entreprise en question a réussi à obtenir des résultats aussi bons. Mais ne vous inquiétez pas : il est impossible de reprendre le fil d’avant la crise sanitaire.

L’exemple que vous citez ne fait pas exception ; même les grandes entreprises technologiques aiment voir leur personnel retourner au bureau
Le problème, c’est qu’il y a toujours les mêmes personnes à la tête de ces entreprises qu’avant la pandémie. Ces personnes ne sont pas habituées à autre chose qu’à contrôler leurs travailleurs en permanence. Mais maintenant que ces derniers ne viennent plus au bureau tous les jours, vous avez besoin de managers qui font confiance à leur personnel, des managers aux compétences très différentes.

Y aura-t-il encore de la place pour l’apport humain sur un marché du travail numérisé ?
Plus que jamais. Tout le monde parle aujourd’hui de ChatGPT, une technologie qui serait néfaste. Mais quand je vois que les experts qui travaillent ici passent 80 % de leur temps à collecter des données et 20 % à réfléchir, il est quand même particulièrement intéressant que quelque chose comme ChatGPT leur permette de n’avoir à investir que 20 % de leur temps dans la collecte de données et 80 % de leur temps dans la réflexion. À condition de savoir poser les bonnes questions. Ce qui, bien sûr, est une compétence complètement différente. C’est aussi pour cette raison que je ne comprends pas pourquoi on interdit aux élèves d’utiliser ChatGPT et autres intelligences artificielles à l'école. Laissons-les utiliser pleinement les possibilités offertes par le système et y ajouter leur propre expérience et émotion.

Suis-je en train de dire que l’IA ne peut pas être utilisée à mauvais escient ? Non. Mais les médias sociaux diffusent aussi des fake news. Il suffit d’enseigner aux jeunes comment utiliser l’IA. Et si possible, comment faire la différence entre les vraies et les fausses nouvelles. Comme on dit en français : «La répétition fixe la notion ».

« Aucun secteur n’est aussi créatif que celui des technologies de l’information »


Saskia Van Uffelen (61 ans) a atterri dans le monde des TIC un peu par hasard. Diplômée en éducation physique et en pédagogie, elle s’attendait à une carrière d’enseignante. « Mais je me suis vite rendu compte qu’il y avait peu de place pour l’improvisation dans l’enseignement », explique-t-elle. Saskia Van Uffelen a donc cherché un secteur dans lequel elle pourrait se lancer. « Une connaissance qui voulait créer une entreprise de logiciels est venue me voir et m’a demandé si cela m’intéresserait de me joindre à lui ».

C’est ainsi que Saskia Van Uffelen a commencé sa carrière professionnelle « en peignant la salle d’exposition et en faisant du café » dans une start-up spécialisée dans le développement de logiciels et où elle a acquis sa première expérience de la vente. « Ensuite, je suis passée à une entreprise un peu plus grande qui vendait des machines à affranchir. Un produit qui ne tombe jamais en panne. Comme les aspirateurs. Idéal pour apprendre à prospecter ». Mme Van Uffelen a franchi l’étape suivante de sa carrière chez Xerox, qui voyait en elle la personne idéale pour enseigner les techniques de vente à ses ingénieurs. Au bout de deuxans, elle rejoint le fabricant d’ordinateurs

Compaq, avec son patron de l’époque.

"Compaq a acquis Digital sous ma direction, une acquisition où j'ai appris qu'il s'agissait d'une question de culture et d'émotion, en réunissant une culture rouge clair et une culture rouge foncé. Plus tard, Compaq a été racheté par Hewlett-Packard (HP). Une expérience très différente, car tout le monde ne pouvait pas rester à bord". Saskia Van Uffelen a également dirigé la division belgo-luxembourgeoise de géants de l'informatique tels que Bull, Ericsson et GFi, et a participé au rebranding du groupe GFi, avant d'occuper le poste de Digital Manager au sein de la fédération sectorielle Agoria en octobre 2022. "J'ai un jour envisagé de quitter le secteur informatique, mais aucun autre secteur n'est aussi créatif", explique-t-elle.

« Utilisons la technologie pour rendre les emplois plus attrayants, en ce compris les emplois dangereux et insalubres »

Saskia Van Uffelen

Champion du numérique

Depuis 2012, Saskia Van Uffelen est mandatée par le gouvernement fédéral pour représenter notre pays auprès de la Commission européenne en tant que « Digital Champion ». « Un an plus tôt, l’Europe avait commencé à déployer son agenda numérique. La Commissaire européenne en charge des TIC et des télécommunications de l’époque, Neelie Kroes, était une grande dame mais ne connaissait pas grand-chose à l’informatique. Elle a donc demandé à chaque État membre de désigner un point de contact unique. Dans notre pays, cette question a été posée au Service public fédéral Economie. Lorsqu’ils m’ont contactée pour me demander si j’étais disponible, ma première réaction a été de me renseigner sur ce que l’on attendait de moi. Ils ne le savaient pas. Et lorsque j’ai demandé si je pouvais compter sur des moyens financiers et une équipe, trente secondes plus tard, la réponse a fusé : non.

Ce à quoi j'ai presque immédiatement répondu : alors j'accepte la mission. Je considère cela comme ma contribution à la société".

Dans son rôle de "Digital Champion", Saskia van Uffelen peut sensibiliser les citoyens et les entreprises à la numérisation de la société et ainsi stimuler la croissance de l'économie numérique. "Plus concrètement, par exemple, j'ai participé à des discussions sur, entre autres, l'influence chinoise dans le secteur des télécommunications, la sécurité des enfants sur l'internet, la manière de mieux sécuriser les données et la numérisation du marché du travail. Ce dernier point, en particulier, me tient particulièrement à cœur ces jours-ci".

"Chaque année, le SPF Économie me demande si je souhaite continuer. J'espère ainsi apporter ma contribution à une société dont nos enfants et petits-enfants pourront être fiers. Et aussi parce que je crois vraiment que chacun doit apporter quelque chose à la société, d'une manière ou d'une autre, parallèlement à sa vie professionnelle.»