ENQUÊTE /
Agressivité au travail: «J’étais exactement au bon endroit»
TEXTE Leen Berthels & Dorien De Wit I PHOTO Dries Luyten | 13 DÉCEMBRE 2023 | TEMPS DE LECTURE: 4 minutes
«Je suis surpris, je ne comprends pas du tout ce qui se passe. Il veut s’acharner mais je me laisse tomber sur le côté et je parviens à fermer la fenêtre. Complètement sous le choc, je vois l’homme se diriger vers l’avant du bus où il me fait signe qu’il veut me trancher la gorge. Il commence alors à frapper le pare-brise avec son poing. Le stress extrême qui m’assaille m’empêche de trouver l’alarme.»
/Chacun mérite un boulot sans violence!
Signez la pétition sur: www.lacsc.be/csc-services-publics/actualites/2023/11/29/chacun-m-rite-un-boulot-sans-violence
Lizes l’article «Je mérite un boulot sans violence» dans le magazine de la CSC Services publics, L’Ère nouvelle de décembre sur www.lacsc.be/csc-services-publics/ere-nouvelle/2023
Mario est chauffeur chez De Lijn. Il est arrivé à la place Roosevelt à Anvers le mardi 6 juin 2023. Il a fait descendre ses passagers et a verrouillé les portes du bus. Il faisait chaud et Mario avait laissé la fenêtre latérale ouverte. À ce moment-là, un homme totalement inconnu est venu de nulle part et lui a asséné un coup de poing à travers la fenêtre ouverte. Il a frappé Mario de plein fouet à la mâchoire. «Et cela ne s’est pas arrêté là. La seule chose qui m’a traversé l’esprit, c’est “s’il monte dans le bus, je suis mort.”» Depuis, Mario n’a toujours pas repris le travail. «Je suis toujours suivi par un psychologue pour le stress post-traumatique. Cela m’aide à digérer ce traumatisme. Les collègues qui n’ont jamais été confrontés à une agression ne comprennent pas vraiment pourquoi mon absence est si longue. D’autres se montrent plus compréhensifs. Je suis sûr de pouvoir reprendre mon travail que j’adore. Je n’ai pas à subir quelque chose que quelqu’un d’autre a provoqué, n’est-ce pas? Beaucoup de gens disent “Vous étiez au mauvais endroit au mauvais moment”. C’est faux. J’étais au bon endroit au bon moment parce que je faisais simplement mon travail.»
Une autre situation, moins extrême mais tout aussi éprouvante psychologiquement, est celle vécue par Carine Mertens, surveillante au complexe sportif de la ville de Genk. Elle y est responsable de l’ordre, de la propreté et de la sécurité des différents espaces sportifs. «Il faut porter les chaussures adéquates pour ne pas endommager le revêtement de sol. Je l’ai fait remarquer à un père qui entrait dans la salle où son enfant suivait un cours de taekwondo. Je lui ai dit qu’il n’avait pas le droit d’entrer ainsi dans la salle. Il a réagi de manière très agressive. Quelques semaines plus tard, il a recommencé. Je vois certains collègues qui font semblant de ne pas remarquer les infractions pour éviter la confrontation. Moi, je réagis systématiquement. Après tout, c’est mon travail de surveillante.»
Sous-déclaration des incidents
Ineke Van den Zegel est conseillère en prévention pour les aspects psychosociaux auprès du service externe Idewe. Ineke soutient les clients confrontés à des problèmes d’agression. «Après un tel événement, les gens adoptent souvent un réflexe de survie parce qu’ils ont reçu en peu de temps un grand nombre d’impulsions qu’ils ne peuvent pas absorber directement. Ces impulsions forment un blocage dans leur cerveau. Lorsque nous nous sentons à nouveau en sécurité, le corps nous oblige à libérer ce blocage et à revivre les événements. Cela peut survenir la nuit, mais aussi le jour, lorsque vous conduisez. Cette assimilation est très intense et requiert beaucoup d’énergie, ce qui entraîne une sensation d’épuisement. Jusqu’à trois mois après un incident, il est tout à fait normal que les gens en subissent les conséquences physiques: insomnie, manque d’appétit, etc. Dans moins de 10% des cas, ce traumatisme reste problématique et nous orientons les victimes vers un psychologue ou un thérapeute. Nous examinons également les modalités d’un retour au travail. La loi contraint les organisations à consigner dans un registre toute forme d’agression par des tiers. En réalité, seuls les incidents graves y figurent. Or, il faut enregistrer tous les cas pour que la direction puisse vraiment voir tout ce qui se passe. Nous constatons malheureusement une sous-déclaration généralisée des incidents et il est alors plus difficile de déterminer comment prendre des mesures préventives.»
Tout le monde doit pouvoir exercer son travail sans violence!
Il devrait être tout à fait normal de pouvoir exercer son travail sans être victime d’une agression physique ou verbale. On soupçonne une forte augmentation des agressions au travail et il y a peu de chiffres disponibles sur le sujet. C’est pourquoi, la CSC Services publics a mené une enquête auprès des travailleurs du secteur public. La principale question était la suivante: «Dans quelle mesure vous sentez-vous en sécurité au travail?» 3.600 travailleurs ont participé à cette enquête. Pas moins d’un millier d’entre eux ont été victimes une ou plusieurs fois d’une agression physique et 2.600 d’une agression verbale.
Ilse Heylen, présidente de la CSC Services publics: «Nous constatons que les agressions augmentent dans les différents secteurs publics. Chaque secteur est bien sûr différent et les attentes face à d’éventuels cas d’agression sont différentes pour chaque emploi. Notre enquête confirme nos soupçons, mais bien plus que nous ne le pensions. En tant que syndicat, nous devons travailler sur ce point. Nous allons interpeller et sensibiliser à la fois les responsables politiques et l’opinion publique. Nous montrerons ainsi que la CSC Services publics entend agir face à cette problématique. Nous avons constaté par le passé que si vous abordez correctement un problème, vous pouvez faire bouger les lignes. Outre l’enquête, nous soumettrons une pétition aux responsables politiques afin de montrer que nous ne tolérons plus cette situation, quelle que soit la complexité du problème. Même dans les métiers où l’agressivité est presque inhérente à la fonction, certaines situations ne sont pas normales. Nous ne pouvons plus tolérer les agressions physiques délibérées contre les policiers, les pompiers, les ambulanciers et le personnel des transports en commun. Les responsables politiques doivent prendre des positions plus claires à ce sujet. Espérons que notre campagne donne l’impulsion nécessaire à cet effet.»