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FACE À FACE /

Aurore De Keyzer: «Les entreprises ont besoin des travailleurs sans papiers!»

INTERVIEW & PHOTO Donatienne Coppieters / 11 décembre 2024 / temps de lecture: 4 minutes

La CSC lance une campagne vidéo pour convaincre le gouvernement belge de régulariser les travailleurs sans papiers vivant en Belgique, notamment ceux possédant des compétences dans des secteurs en pénurie. Nos alliés? «Les patrons, qui ont besoin de cette main-d’œuvre» répond Aurore De Keyzer, responsable du groupe Migrants CSC.

La CSC réclame depuis des années une régularisation des personnes sans papier, sur base de critères clairs et par un organisme indépendant de l’Office des étrangers. La CSC réclame aussi aujourd’hui une régularisation des personnes sans papiers sur la base du travail. Peux-tu expliquer cette évolution?

Notre revendication phare est toujours de régulariser les personnes sans papiers sur la base de critères clairs et objectifs, avec une commission indépendante. Mais on cherche des leviers. Aujourd’hui, la CSC met en avant l’opportunité créée par la directive européenne sur le permis unique, entrée en vigueur en 2019 en Belgique. Ce dispositif permet d’octroyer un permis de travail et de séjour aux travailleurs non-Européens qualifiés, mais il exclut les personnes déjà présentes sur le territoire belge. La CSC propose d’élargir ce système aux travailleuses et travailleurs sans papiers déjà sur place. Cette approche permettrait de valoriser des compétences déjà présentes en Belgique et de réguler le marché du travail en réduisant le travail au noir et le dumping social.

En Belgique, on estime qu’environ 120.000 personnes vivent sans papiers, souvent dans des conditions précaires. Beaucoup sont qualifiés, mais leur statut les empêche de travailler légalement. La CSC milite pour leur régularisation, arguant que leur contribution pourrait répondre à des besoins pressants dans plusieurs secteurs. De plus, cette régularisation aurait des effets bénéfiques sur l’économie belge en diminuant le travail illégal et en répondant à la pénurie de main-d’œuvre.

La CSC cible trois secteurs en pénurie de main d’œuvre: la construction, le soin, et les métiers liés aux métaux…

En réalité, ce sont des secteurs en pénurie reconnus par le Forem et pour lesquels l’Office des étrangers autorise des demandes de permis de travail. La construction, le soin et les métiers liés aux métaux souffrent de pénurie de main-d’œuvre et, paradoxalement, de nombreux travailleurs sans papiers possèdent les compétences requises pour ces emplois. En les régularisant, la Belgique pourrait combler ses besoins tout en réduisant les abus liés au travail illégal.

Le secteur des soins de santé est particulièrement touché par l’absurdité du système. De nombreux infirmiers et médecins qualifiés perdent leur titre de séjour ou ne peuvent pas exercer légalement malgré leurs diplômes. La CSC plaide pour la régularisation de ces professionnels, dont la qualification est reconnue mais dont la régularisation administrative reste un obstacle.

La reconnaissance des diplômes reste un problème essentiel?

En effet, un problème majeur pour les travailleurs migrants vivant en Belgique est la reconnaissance de leurs diplômes. De nombreux professionnels qualifiés, comme des médecins ou des infirmiers, se retrouvent contraints de refaire leur formation en Belgique, alors que leurs diplômes sont valables dans leur pays d’origine. La CSC propose de simplifier ce processus en revoyant le système de l’équivalence des diplômes, afin de faciliter l’intégration de ces travailleurs dans le système belge.

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«L’université de Gand a calculé qu’il manquera 124.000 personnes dans le secteur des soins de santé en Belgique d’ici 2040.»
Aurore De Keyzer

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L’université de Gand a calculé qu’il manquera 124.000 personnes dans le secteur des soins de santé en Belgique d’ici 2040. Même si nous formons de nouveaux jeunes et si nous réajustons les salaires, cela ne suffira pas. Il nous faudra faire appel aux personnes déjà présentes ici, mais qui n’ont pas accès au marché du travail. Il y a des milliers de travailleurs qualifiés qui attendent une régularisation, mais qui sont dans une situation administrative difficile. Leur intégration dans le secteur de la santé pourrait être une solution aussi bien pour eux que pour la Belgique.

Quelle est la position des employeurs à ce sujet?

Certaines fédérations patronales soutiennent l’initiative, reconnaissant le besoin urgent de main-d’œuvre qualifiée. Cependant, la question de la régularisation reste politiquement sensible, car elle suscite des craintes sur l’afflux de migrants et sur l’impact économique. Néanmoins, des projets comme «Talent Coop» à Bruxelles, qui regroupe syndicats, employeurs et ASBL de terrain, visent à faciliter l’accès des travailleurs sans papiers aux emplois dans des secteurs en pénurie, tout en accélérant la reconnaissance des diplômes étrangers.

Quels sont les blocages face à la régularisation des travailleurs dans les métiers en pénurie?

Le principal obstacle à la régularisation des travailleurs sans papiers réside dans les réticences politiques et les blocages administratifs. Le gouvernement belge hésite à changer sa position, de peur de créer un précédent et d’ouvrir la voie à un afflux de migrants. Toutefois, pour la CSC, il est crucial de trouver une solution pour que ces travailleurs sans papiers puissent contribuer de manière légale à l’économie belge.

Les syndicats et certains employeurs soutiennent cette réforme. La régularisation des travailleurs sans papiers apparaît comme une solution pragmatique pour combler les pénuries de main-d’œuvre, mais aussi pour améliorer les conditions de travail et la situation économique du pays.

Qu’attendez-vous des employeurs?

Nous souhaitons qu’ils signent une lettre à destination du cabinet de Nicole de Moor (NDLR: la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration) pour réclamer le droit de demander un permis unique pour un travailleur déjà en Belgique. En ce moment, nous récoltons des témoignages vidéo de chefs d’entreprises de différents secteurs, qui seraient très désireux de pouvoir trouver une solution pour conserver dans leurs équipes des travailleurs et travailleuses qui sont menacés d’une expulsion.

C’est dans leur intérêt de porter cette revendication avec nous. Nous espérons que si nous nous adressons ensemble au gouvernement, nous en représentant l’intérêt des travailleurs migrants et eux en représentant le leur, le futur gouvernement prendra le parti de revoir l’accès au permis unique.

Le permis unique à durée limitée

Le permis unique permet aux employeurs de demander un permis de séjour et de travail pour un travailleur non-européen. Si la demande est acceptée par la Région compétente, le travailleur reçoit un titre de séjour lui permettant de travailler en Belgique pour plus de 90 jours.

2 minutes pour convaincre en vidéo

Avec un focus sur différents secteurs, le groupe Migrants CSC va diffuser une série de capsule vidéo avec des témoignages de responsables d’entreprise qui appellent à faire comme eux: signer la lettre destinée au cabinet de Nicole de Moor pour faire entendre leurs voix.
N’hésitez pas à repartager ces vidéos!

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