DANS L’ENTREPRISE /
Combattre l’écart salarial dans votre entreprise
TEXTE Frank Cosaert & Gaëlle Demez / ILLUSTRATION Shutterstock / 13 février 2025 / temps de lecture: 5 minutes
Cette année encore, toutes les entreprises qui occupent au moins 50 travailleurs·euses sont tenues d’établir le rapport d’analyse bisannuel relatif à la structure des rémunérations. Aussi appelé «rapport sur l’écart salarial», ce document doit être remis au conseil d’entreprise (ou à la délégation syndicale) et faire l’objet d’un débat au sein de cet organe. C’est une excellente occasion pour lutter contre l’écart salarial entre les femmes et les hommes dans votre entreprise.
Les entreprises qui occupent plus de 100 travailleurs·euses doivent fournir le modèle complet du rapport sur l’écart salarial. Nous y retrouvons des informations sur les différences salariales entre femmes et hommes, ventilées d’après la fonction (exécution, cadre ou direction), l’ancienneté et le diplôme. Il convient de déclarer toutes les différences salariales, tant celles qui portent sur les salaires bruts que celles qui concernent les avantages en sus du salaire. Les entreprises qui occupent entre 50 et 100 travailleurs·euses doivent fournir le modèle «simplifié», qui reprend des informations sur les différences salariales ventilées en fonction de l’ancienneté et du diplôme.
Agir sur les causes
Selon le rapport annuel de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH), l’écart salarial global entre hommes et femmes en Belgique s’élève à 8,6% en termes de salaires horaires bruts. Pour le salaire annuel brut, l’écart moyen atteint 19,9% en 2024. C’est évidemment ce chiffre que l’IEFH et les syndicats utilisent car il reflète la réalité et ne gomme pas l’impact sur le salaire du travail à temps partiel, contrairement au chiffre du salaire horaire.
Les femmes travaillent plus souvent à temps partiel et ont des carrières plus fragmentées. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène.
L’une des raisons majeures est que les employeurs proposent moins, voire pas du tout, de contrat à temps plein dans certains secteurs particulièrement féminisés, soit parce qu’ils préfèrent jongler avec la flexibilité que leur apportent les temps-partiels (grande distribution, maisons de repos…), soit parce qu’ils se rendent bien compte que, vu la pénibilité du travail, les travailleuses ne savent pas tenir à temps plein et risquent plus d’arrêts de maladie (titres-services, nettoyage…). Néanmoins, la majorité des femmes à temps partiel sont demandeuses de plus d’heures parce que leur salaire est insuffisant pour leur permettre de vivre dignement.
À côté de cela, vu que nous vivons toujours dans une société patriarcale où le soin des autres repose sur les femmes, celles-ci s’occupent majoritairement des enfants et d’autres personnes à charge (malades, personnes vieillissantes ou porteuses de handicap). Au total, 40,2% des femmes actives travaillent à temps partiel, contre seulement 12,1% des hommes actifs.
Les «choix» d’interruption de carrière (souvent involontaires) entraînent une perte de salaire significative et ont également un impact sur leurs droits sociaux (assurance maladie, assurance chômage) et sur leur pension. L’écart de pension est actuellement de 31%, un pourcentage qui risque de se creuser si les plans de pension du gouvernement Arizona sont mis en œuvre. Il est crucial de promouvoir une culture du travail saine où les hommes sont activement informés et encouragés à exercer leurs droits, tels que le congé de naissance.
Des temps partiels involontaires
Plus de 16% des femmes qui travaillent à temps partiel déclarent qu’elles souhaiteraient travailler à temps plein, mais qu’elles n’en ont pas l’opportunité. La CCT n° 35 donne la priorité aux travailleuses à temps-partiels pour augmenter leurs heures dans l’entreprise si de nouvelles heures sont nécessaires pour accomplir le travail. Notre mission consiste à faire appliquer cette CCT (le patron peut subir des sanctions s’il ne l’applique pas). Le patron doit également faire signer à la travailleuse un document stipulant qu’elle est disponible pour davantage d’heures (on conseille à chacune de la signer). Cela permettra également à la travailleuse d’avoir accès à une allocation de garantie de revenu (AGR) si son salaire à temps-partiel est insuffisant pour vivre ET/OU à un maintien des droits.

Les conditions de travail physiques et/ou mentales peuvent parfois être si difficiles qu’elles rendent impossible un travail à temps plein. Dans certains secteurs, il est même conseillé de réduire la norme du temps plein, car le travail est trop exigeant pour être effectué à temps plein. En travaillant sur ces questions, nous parviendrons automatiquement à réduire l’écart salarial.
Des facteurs objectifs expliquent environ la moitié de l’écart salarial de 8,6% qui subsiste après avoir corrigé la durée du travail. Ainsi, nous relevons que les hommes restent surreprésentés dans les secteurs et professions où les salaires sont élevés, tels que la chimie et l’énergie. Les femmes sont plus souvent occupées dans des secteurs et professions à bas salaires, tels que les soins, la grande distribution et le nettoyage. C’est ce qu’on appelle la ségrégation horizontale du marché du travail. En tant que délégué·e des travailleurs·euses, vous pouvez vérifier si le lieu de travail favorise la diversité, si chacun·e a les mêmes opportunités de formation et si la mobilité interne est suffisante.
Le plafond de verre subsiste
La différence s’explique aussi par la sous-représentation persistante des femmes parmi le personnel de direction dans l’entreprise (plafond de verre). Le rapport d’analyse nous renseigne sur le nombre de femmes et d’hommes concernés, leur salaire brut moyen et les avantages en plus du salaire. Quelles sont les raisons sous-jacentes pour lesquelles les femmes gravissent moins facilement les échelons, et que pouvez-vous entreprendre pour y remédier en tant que délégué·e·s syndicaux·ales?
Autre constat: concernant ces avantages extra-légaux, qui sont parfois le fruit de négociations individuelles du salaire, l’écart salarial explose. Des études ont montré que les déplacements entre le domicile et le lieu de travail ne sont pas remboursés de la même manière, que davantage d’hommes disposent d’une voiture de société, que les hommes ont plus souvent une pension complémentaire, dont le montant moyen est aussi plus élevé, et qu’ils bénéficient plus fréquemment d’options sur actions, également pour un montant plus élevé. Cela vaut donc certainement la peine de vérifier s’il est encore possible de prendre des mesures dans l’entreprise pour éliminer cette inégalité.
Enfin, la formation dans l’entreprise est un autre domaine où les différences persistent entre les hommes et les femmes. Ce critère ne figure pas dans le rapport d’analyse, mais bien dans le bilan social que nous devons obtenir avec les informations économiques et financières (IEF) dans le cadre des comptes annuels. Nous constatons que les femmes suivent moins de formations que les hommes, et que les hommes suivent souvent des formations plus coûteuses. Il s’agit également d’un autre grand domaine d’action que vous pouvez aborder dans votre entreprise si vous le constatez. Suivre une formation est souvent le moyen d’accéder à une catégorie salariale supérieure et augmente les chances de promotion.
Si vous abordez les points susmentionnés au conseil d’entreprise, vous pourrez déjà accomplir beaucoup pour réduire l’écart salarial.

Des outils bien utiles …
• Sur le site du SPF ETCS – emploi.belgique.be – vous trouverez un modèle vierge du rapport d’analyse relatif à la structure des rémunérations.
• Sur www.lacsc.be/outil-de-calcul/ecart-salarial/ vous trouverez un outil CSC qui permet de calculer l’écart salarial dans votre entreprise grâce aux chiffres du bilan social. Le bilan social est fourni avec les comptes annuels que vous obtenez à l’occasion de la discussion sur les IEF.
• Sur www.lacsc.be/outil-de-calcul/ecart-salarial/ vous trouverez également la brochure CSC «Agissez sur l’écart salarial dans votre entreprise» avec beaucoup d’informations intéressantes, des conseils pour un plan par étapes, etc.
• Bien entendu, vous pouvez toujours vous adressez au·à la permanent·e de la CSC qui suit votre entreprise si vous désirez obtenir plus d’informations sur l’écart salarial dans votre entreprise.