EN DÉBAT /
L’annualisation du temps de travail est-elle favorable aux travailleurs?
TEXTE Simon Bellens & Patrick Van Looveren / Photo Shutterstock / 18 juin 2025 / temps de lecture 2 minutes
L’accord de gouvernement prévoit l’instauration d’un nouveau cadre juridique permettant l’annualisation du temps de travail, après concertation avec les interlocuteurs sociaux. Il est également question d’«horaires accordéons». Ce système prévoit des périodes où l’on travaille beaucoup (jusqu’à 50 heures par semaine et, dans certains cas, jusqu’à 60 heures) et des périodes où l’on travaille moins. Les heures de travail convenues contractuellement (temps plein ou temps partiel) devront être prestées sur une base annuelle et plus hebdomadaire. Les employeurs affirment que ce système relève du bon sens: il faciliterait la gestion des périodes de pic et de creux d’activités, ou permettrait d’offrir une plus grande accessibilité aux clients. Il peut également répondre aux besoins individuels des travailleurs, comme travailler moins pendant les vacances scolaires ou adapter son emploi du temps à une garde partagée. Mais est-ce vraiment le cas? L’employeur et les travailleurs sont-ils vraiment «tous gagnants»? Quelles leçons pouvons-nous tirer des secteurs qui pratiquent déjà une certaine forme d’annualisation?

Bart Vannetelbosch,
secrétaire national CSC
«On se rapproche dangereusement des contrats d’appel»
secrétaire national CSC
«Plus de flexibilité pour les employeurs afin qu’ils puissent organiser le travail à leur convenance: tel est le mot d’ordre du gouvernement Arizona. Le projet de loi du ministre de l’Emploi, David Clarinval, sur l’annualisation du temps de travail s’inscrit dans cette logique», explique Bart Vannetelbosch.
«Le projet de loi prévoit qu’un accord écrit entre l’employeur et le travail-leur peut autoriser des heures supplémen-taires permettant de dépasser les limites de 12 heures par jour et 50 heures par semaine, à condition que la durée hebdomadaire moyenne soit respectée sur une année. Cette limite peut être portée à 60 heures pour certains travaux tempo-raires dans des entreprises qui pratiquent le travail en équipes. Les heures prestées selon ce régime de travail ne donneront pas droit à un sursalaire. Il existe pourtant déjà de nombreuses possibilités d’organiser le travail de manière flexible. Mais - et c’est là que le bât blesse - toutes ces formes de flexibilité doivent être négociées via la concertation sociale dans le secteur ou l’entreprise, ce qui permet aux syndicats d’exiger des contreparties. Le projet Clarinval contourne intelligemment ce principe en affirmant que l’accord du travailleur suffit Mais dans quelle mesure un travailleur peut-il réellement refuser une telle proposition de son employeur? Les dés sont pipés, en quelque sorte. Pour les travailleurs, cette mesure risque d’engendrer une grande incertitude quant au nombre d’heures à prester chaque semaine. Cette mesure, combinée à la suppression de la durée minimale du travail (actuellement un tiers d’un horaire à temps plein, NDLR) envisagée par l’accord de gouvernement, nous rapproche dangereuse-ment des contrats d’appel. Durant certaines périodes, les travailleurs devront prester énormément d’heures. Les experts en bien-être au travail soulignent les effets négatifs des périodes structu-relles de journées de travail extrêmement longues. Un tel régime de travail peut mener à l’épuisement. Mais la diminution du bien-être mental est surtout liée à l’incertitude des horaires. Nous serons loin du scénario gagnant-gagnant promis par le gouvernement.»

Hans Elsen,
permanent ACV Puls
«Un prestataire de services d’assistance en escale de l’aéroport de Zaventem qui avait instauré l’annualisation il y a quelques années y a depuis renoncé.»
permanent ACV Puls
Hans Elsen ne comprend pas pourquoi le gouvernement souhaite généraliser l’annualisation du temps de travail: «Les secteurs que je connais, comme la logistique et l’e-commerce, ne sont pas bloqués parce qu’ils ne peuvent pas adapter leur travail à la situation économique.» Il cite l’exemple d’un prestataire de services d’assistance en escale de l’aéroport de Zaventem qui avait instauré l’annualisation il y a quelques années, mais y a depuis renoncé. «Les travailleurs ne sont pas disposés à travailler des journées ou des semaines interminables sans compensation sous forme de primes ou de repos. En haute saison, ils ne trouvaient pas assez de personnel, et en basse saison, il restait encore trop de travail inachevé. Ce système n’a tout simplement pas fonctionné. De plus, l’annualisation complique énormément la détermination du temps de travail effectif, et donc la vérification des salaires et la lutte contre les abus.»

Hervé Emeleer,
permanent
CSC Alimentation et Services
«Les travailleurs doivent attendre la fin du mois pour connaître leur horaire du mois suivant. Cela crée beaucoup d’incertitude.»
permanent CSC Alimentation et Services
Le secteur du gardiennage recourt déjà largement à l’annualisation du temps de travail. Hervé Emeleer: «À la fin de l’année, certains employeurs constatent que leur personnel n’atteindra pas les 1.940 heures. Ils tentent alors de leur faire rattraper rapidement les heures manquantes, que l’on soit en haute saison ou non, pour éviter de devoir payer les heures non prestées. Les travailleurs peuvent consulter les heures qu’ils ont déjà prestées sur l’année, mais ils doivent attendre la fin du mois pour connaître leur horaire du mois suivant. Cela crée beaucoup d’incertitude.»
Et vous
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