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ÉDITO /

L'index, bénédiction ou malédiction?

TEXTE Marc Leemans, président de la CSC | TEMPS DE LECTURE: 4 MINUTES | 8 FÉVRIER 2023

Après une longue attente, environ 50% des travailleurs du secteur privé ont, en ce début d’année, enfin constaté sur leur compte bancaire que leur salaire a été adapté à l’indice santé. Leur pouvoir d’achat retrouvera ainsi plus ou moins le niveau d’il y a un an. Cela signifie qu’au cours des douze derniers mois, ces travailleurs ont dû consacrer une partie de plus en plus importante de leur revenu à l’augmentation des prix de l’énergie, des produits alimentaires, des loyers... Avec l’adaptation de leur salaire à l’inflation, les travailleurs, en particulier ceux dont les revenus sont les plus faibles, vont pouvoir souffler un peu. Un peu seulement car ils devront ensuite à nouveau attendre un an pour récupérer l’inflation. Ce qui est perdu, ils ne le récupéreront jamais. L’indexation permet néanmoins aux salariés et aux allocataires sociaux d’avoir la certitude qu’à terme, leur revenu suivra une courbe plus ou moins équivalente à celle de l’inflation. En outre, dans cette période économiquement troublée, l’index est crucial pour la consommation intérieure car il permet à notre économie d’éviter la récession.

Les organisations patronales et certains économistes nous prédisent toutefois les pires catastrophes si nous ne réformons pas rapidement le système d’indexation. «L’indexation des salaires est impossible à financer et les entreprises vont devoir licencier massivement pour ne pas sombrer.» Voilà un an que nous entendons de tels propos, mais les chiffres de l’économie vont dans un autre sens. La Banque nationale a calculé qu’en 2022, l’excédent brut d’exploitation a atteint plus de 44% de la valeur ajoutée, ce qui est un niveau jamais atteint. Même si une légère baisse est attendue pour les années à venir, l’excédent brut d’exploitation restera supérieur à 40% jusqu’en 2025, soit un niveau supérieur à la moyenne de la période 1999-2019.

Quelques entreprises de premier plan influencent positivement ces chiffres mais, si on regarde ces données d’un peu plus près, on voit que les «simples» entreprises ont également tenu le coup en 2022. En 2022, le chiffre d’affaires brut de l’entreprise médiane est de 0,7 point de pourcentage inférieur à celui de la moyenne élevée de la période 2015-2019. Nous ne nions pas que la rentabilité d’un grand nombre d’entreprises est en baisse et que la situation est difficile pour certaines d’entre elles. Il ne faut cependant pas oublier qu’on sort d’une période de haute conjoncture absolue sur le plan de la rentabilité. Des années difficiles peuvent succéder à des années florissantes et un entrepreneur prévoyant en tient compte.

Ne risque-t-on pas, dès lors, de voir apparaître une spirale dans laquelle la hausse des salaires entraînera à nouveau un hausse des prix, ce qui amènera l’inflation à rester à un niveau supérieur en Belgique? Contrairement aux années 1970-1980, il n’y a pas aujourd’hui de spirale salaire-prix. Une étude du groupe de réflexion Minerva démontre que l’inflation est alimentée par les prix de l’énergie et par l’augmentation des prix de production. En effet, de nombreuses entreprises répercutent l’augmentation de leurs coûts pour conserver leurs marges. L’inflation attendue en Belgique pour 2023 n’est que légèrement supérieure à celle de la zone euro et significativement inférieure à celle de l’Allemagne, ce qui démontre que l’indexation des salaires n’enclenche pas une spirale inflationniste supplémentaire.

L’inflation étant particulièrement élevée, ne faudrait-il pas adapter le système? Tout le monde n’a finalement pas réellement besoin de cette indexation. Les partisans d’un «index social» veulent que l’indexation soit réservée aux plus bas salaires. Autrement dit, ils sont favorables à un «index en argent plutôt qu’en pourcent». Les arguments pour ne pas succomber à ce chant des sirènes sont toutefois nombreux. Un bon financement de la sécurité sociale par exemple, car celle-ci est mise sous pression lorsque les cotisations des travailleurs et des employeurs ne suivent pas alors que les dépenses sont intégralement indexées. De plus, les revenus élevés peuvent maintenir le niveau de leur salaire en raison de leur position de force sur le marché du travail. Ils arriveront à compenser la partie du salaire brut qui n’est pas indexée au moyen d’avantages fiscaux et parafiscaux extra-légaux intéressants, ce qui prive à nouveau la sécurité sociale de rentrées financières. Il n’existe d’ailleurs pas d’argument valable pour justifier pourquoi le pouvoir d’achat des revenus élevés ne peut être préservé. Une fois que l’on touche au système d’indexation, on ouvre une porte qu’il sera difficile de refermer et il y aura sans cesse de nouvelles propositions pour prévoir des exceptions qui ne feront que vider l’indexation automatique des salaires de sa substance.

Nous n’allons pas accepter qu’un système qui a prouvé sa valeur et que bon nombre de pays nous envient soit mis au rebut parce qu’il est temporairement mis sous pression. Les avantages que procure, selon certains, la destruction de ce système ne contrebalancent pas les dégâts en termes de perte de confiance des consommateurs, d’inégalité croissante des revenus, de déficit de financement de la sécurité sociale et des services publics, d’érosion d’un système qui garantit une répartition équitable du bien-être et, au final, le fonctionnement de notre démocratie. Plutôt que pour la malédiction, nous optons pour la bénédiction!