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L'ACTU /

La Conférence internationale du travail dans un monde à la dérive

TEXTE Chris Serroyen en Stijn Sintubin | PHOTO Shutterstock | TEMPS DE LECTURE: 5 MINUTES | SYNDICALISTE 21 JUIN 2023

La CSC était, une fois de plus, massivement présente à la Conférence internationale du travail à Genève. Les 187 pays membres de l’Organisation internationale du travail (OIT) s’y réunissent chaque année pour traiter des questions relatives au travail dans le monde. Outre les représentants des gouvernements, chaque délégation nationale se compose toujours des interlocuteurs sociaux nationaux. C’est ce qui rend l’OIT unique parmi les institutions internationales. Toutefois, trois questions particulières ont quelque peu détourné l’attention du travail concret: la présidence de la conférence, le budget de l’OIT et la violation des droits syndicaux en Biélorussie.

Tout a commencé par le choix du Qatar comme président de la conférence de cette année. La Coupe du monde de football organisée dans ce pays a révélé les graves violations des droits universels du travail. Les pressions exercées par le mouvement syndical international et par l’OIT ont certes permis d’obtenir des changements, mais ceux-ci restent clairement insuffisants. Il n’est pas illusoire de craindre de nouvelles détériorations puisque les lampions de la fête se sont éteints et que les footballeurs ont quitté le Qatar. Certains syndicats ont demandé de faire un scandale à propos de la présidence. Sous la direction de notre ancien collègue de la CSC, Luc Triangle, notre coupole syndicale internationale a opté pour une tactique plus intelligente: à la veille de la conférence, elle a exigé que le Qatar prenne de nouveaux engagements en matière de protection du travail. Ce fut une belle réussite.

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Un tabou: la diversité de genre

L’approbation du nouveau budget de l’OIT a déclenché une crise sans précédent. Une partie des pays arabes et africains refusent que l’OIT travaille sur l’inclusion des LGBTQIA+ dans le monde du travail. On constate également des tendances dangereuses dans d’autres parties du monde, y compris en Europe. Comme moyen de pression, les pays réfractaires menaçaient de bloquer le budget pour 2024-2025. Des discussions très pénibles ont permis de débloquer ce sujet. Le débat polarisé n’est pas terminé pour autant.

Un nouveau paria: la Biélorussie

Il eut été étonnant que la guerre en Ukraine n’aie aucun impact sur la conférence. L’OIT en a un peu marre de la Biélorussie, le plus fidèle allié de la Russie. Le syndicalisme libre y est devenu impossible, une série de dirigeants syndicaux ont été condamnés et bon nombre d’autres sont en prison. L’OIT s’est donc adressée à la Biélorussie, mais celle-ci a refusé toute coopération. Se posait donc la question de prendre des sanctions plus contraignantes, sur la base de l’article 33 de ses statuts. Cet article n’a été utilisé qu’une seule fois dans l’histoire de l’OIT: en 2000, à cause de la persistance du travail forcé au Myanmar. Lors de la conférence, nous avons vu comment la guerre en Ukraine a commencé à faire évoluer les relations géopolitiques, avec un grand nombre de pays qui refusaient de critiquer la Russie. Heureusement, nous avons pu avancer dans ce domaine-là également.

Un travail acharné dans les différentes commissions

N’oublions pas le travail concret dans les commissions. Comme chaque année, la Commission de l’application des normes - au sein de laquelle Marc Leemans, président de la CSC, préside le groupe des travailleurs - devait examiner les cas d’une série de pays. Certains d’entre eux ont fait l’objet de vives critiques. Notons en particulier les critiques acerbes adressées au Royaume-Uni en raison de la violation des droits syndicaux et la volée de bois vert adressée à Meloni en raison de la politique migratoire italienne. Ce pays s’est vu reprocher les déficiences dans le contrôle, par l’inspection du travail, du recours abusif à la migration économique dans le secteur agricole. Dans le contexte du réchauffement climatique, mais en lien avec la rapidité des évolutions industrielles et technologiques, une autre commission a étudié ce que doit être le rôle de l’OIT en cette matière. Même si l’OIT avait déjà conclu un accord sur la nécessité d’une transition juste. C’est-à-dire: la nécessité absolue de prendre des mesures d’accompagnement pour les travailleurs touchés par l’impact des mutations climatiques. Des avancées ont été obtenues après des négociations particulièrement âpres. Les États membres se sont vu recommander de prendre de réelles mesures afin de mettre en pratique la transition juste.

Lors de chaque conférence annuelle, une commission explique ce qu’il faudrait faire pour un des objectifs stratégiques de l’OIT. Cette année, il s’agissait de la protection du travail. L’OIT a ainsi été chargée de nouvelles missions, qui consistent à poursuivre le travail sur le thème des salaires minimums, des temps de travail excessifs, des contrats précaires, mais aussi de l’intelligence artificielle. La commission chargée d’étudier les contrats d’apprentissage a cependant fourni un travail beaucoup plus concret. Elle a adopté en deuxième lecture une nouvelle norme de l’OIT. Nelis Jespers des ACV Jongeren (Jeunes CSC néerlandophones) a été très impliqué dans les travaux de cette commission. Lisez son compte rendu ci-contre.



/Nouvelle norme internationale du travail

Une meilleure protection pour les contrats d’apprentissage

Le vendredi 23 juin, à la Conférence internationale du travail, 187 États membres ainsi que les interlocuteurs sociaux ont approuvé une nouvelle norme internationale du travail. Baptisée «Recommandation pour un apprentissage de qualité», elle donne aux États membres les orientations à suivre en termes de politique et de développement de systèmes d’enseignement et de formation professionnels en alternance.

TEXTE Nelis Jespers

Pour la Belgique, il s’agit des élèves suivant un système de formation en alternance et des élèves de l’enseignement professionnel à temps partiel. Les élèves combinent l’étude à l’école avec un apprentissage professionnalisant dans le milieu du travail. Au niveau international, il a à présent été convenu que ces élèves doivent avoir droit, entre autres, à la sécurité sociale, à des vacances et à une rémunération décente lorsqu’ils suivent une formation dans des systèmes similaires, ailleurs dans le monde.

Des contrats corrects

Dans de très nombreux pays, ces contrats d’apprentissage sont surtout monnaie courante dans le circuit du travail informel, où les jeunes doivent travailler dans des conditions difficiles et à partir d’un trop jeune âge. La norme doit dès lors aider les pays et leur donner les outils nécessaires pour intensifier la lutte contre le travail des enfants et pour donner aux jeunes suivant leur formation dans le milieu du travail un accès à du travail décent et à des contrats à part entière. Maintenant que la norme de travail a été approuvée, c’est à l’OIT de veiller à sa mise en œuvre et à son respect.

Dans les discussions, la CSC a insisté sur les droits internationaux des enfants et sur la vulnérabilité des jeunes sur le marché du travail. Il est fondamental que les systèmes de formation et de travail en alternance garantissent une bonne protection au travail et un enseignement de qualité, un bon encadrement, des objectifs clairs concernant l’apprentissage, et suffisamment de temps libre. Comme les jeunes éprouvent souvent des difficultés à se débrouiller seuls lors de leur entrée sur le marché du travail, la norme comporte également des clauses sur le mentorat et l’accès à des systèmes de plaintes.

La CSC est extrêmement satisfaite du texte. On a ainsi la preuve que la concertation au niveau international est loin d’être morte et enterrée.

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