FACE À FACE /
Luc Triangle (CSI): «Agir, ce n’est plus un choix, c’est une obligation»
INTERVIEW Bram Van Vaerenbergh I PHOTO Guy Puttemans | 11 OCTOBRE 2023 | TEMPS DE LECTURE: 5 minutes
Un Belge a été élu secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI). C’est une première depuis la fusion entre la CISL et la CMT en 2006. Et, cerise sur le gâteau, ce Belge a commencé sa carrière syndicale à la CSC! Luc Triangle (62 ans) est prêt pour sa mission. «La CSI avait besoin d’un bâtisseur de ponts. C’est peut-être une capacité que les Belges développent plus rapidement.»
Vous étiez le seul candidat au poste de secrétaire général de la CSI. Comment expliquez-vous cette situation?
J’ai été présenté par toutes – ou pratiquement toutes – les organisations pour diriger la CSI. En mai, je suis devenu secrétaire général par intérim et, dès le mois de juin, on m’a demandé de rester dans ce rôle. C’est assez unique car, lors de l’élection précédente, une campagne forte et intensive avait opposé deux candidats. Cette lutte était une bonne chose en soi mais elle a aussi divisé notre organisation. On s’est rendu compte qu’il était temps de chercher quelqu’un sur lequel il y a un consensus. La CSI avait besoin de quelqu’un qui bâtisse des ponts, qui sache écouter les grands comme les petits pays et qui puisse ainsi préparer les décisions à prendre au sein de l’organisation. C’est peut-être une capacité que les Belges développent plus rapidement. Il ne s’agit pas de moi. L’organisation doit toujours occuper la place centrale. C’est le point de vue que j’ai toujours défendu.
Est-il important de pouvoir bâtir des ponts, compte tenu des défi s qui attendent la CSI?
Oui, les défi s sont immenses. Nous vivons dans un contexte géopolitique très diffi cile, avec des confl its entre les États-Unis, la Russie et la Chine. Nous jouons notre rôle à ce sujet: en raison de la guerre avec l’Ukraine, le syndicat russe a été suspendu en tant que membre de la CSI. La démocratie aussi est en danger. Et nous défendons la démocratie, nous qui sommes le plus grand mouvement social du monde, avec nos 200 millions de membres dans 167 pays et 340 organisations. Les droits des travailleurs et des syndicats sont également remis en cause. La liberté des travailleurs de s’affi lier à un syndicat, le droit à la concertation collective, la liberté d’expression: tous ces droits sont en recul dans le monde. Sans oublier les écarts qui se creusent encore entre les riches et les pauvres, et le changement climatique. Tous ces dossiers sont essentiels et constituent nos principaux défis.
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«LE CLIMAT EST IMPORTANT POUR LA CSI. MAIS LES TRAVAILLEURS NE PEUVENT PAS EN PAYER LE PRIX.»
LUC TRIANGLE
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Vous parlez du changement climatique. N’est-il pas diffi cile de trouver un équilibre entre climat et industrie?
Soyons clairs. En tant que mouvement syndical, nous devons opter pour l’agenda climatique que nous connaissons tous. Il est basé sur des rapports scientifi ques, sur l’Accord de Paris… Nous n’avons pas le choix. Il faut agir et lutter contre le réchauff ement de la planète. Nous ne sommes pas un mouvement de lutte pour le climat, mais cela ne veut pas dire que ce défi ne nous préoccupe pas. Le prix de la transition climatique ne peut pas être payé par les travailleurs. Et, comme je l’ai constaté quand je travaillais encore pour IndustriAll Europe, le risque est réel que des travailleurs, et même des régions entières, restent à la traîne dans cette transition, en Europe, mais aussi en-dehors de l’Europe. C’est, pour nous, l’essentiel de ce débat, mais aussi toute sa diffi culté. Nous devons chercher une solution pour les mineurs qui ne pourront plus travailler dans les mines, pour les travailleurs des entreprises automobiles qui doivent désormais construire des moteurs électriques au lieu de moteurs traditionnels. Tous ces travailleurs risquent de perdre leur emploi. Avec une bonne formation, ils retrouveront peutêtre un nouvel emploi, mais la formation ne suffi t pas. Nous devons créer de nouveaux emplois, y compris dans les régions que la transition climatique met en difficultés. Ces travailleurs ne doivent pas payer le prix de la transition. Ils doivent avoir la possibilité de trouver un emploi dans leur propre région, leurs enfants aussi.
Il ne me semble pas évident de trouver une base commune sur ce sujet au niveau international?
Il y a toujours un risque que des entreprises ferment en Belgique ou en Europe et poursuivent leurs activités dans des régions où la réglementation est diff érente. Soyons honnêtes, c’est déjà le cas aujourd’hui. Des entreprises peuvent aussi importer des produits fabriqués dans d’autres pays, avec d’autres législations en matière climatique. Pour moi, c’est de la concurrence déloyale et nous devons essayer de nous y opposer. En Europe, nous nous trouvons actuellement dans un contexte plus diffi cile, avec une réglementation déjà plus stricte ou plus contraignante. D’un autre côté, c’est aussi une opportunité pour prendre de l’avance sur le plan de la technologie et de la transition. À un certain moment, nous devrons bien nous y mettre tous ensemble et mieux vaut être à la source que de devoir acheter la technologie ailleurs. Le climat n’est toutefois pas notre seule priorité. Les attaques contre la démocratie et les droits des travailleurs et des syndicats restent importants.
Des attaques contre les droits syndicaux, nous en vivons aussi dans notre pays, avec la proposition de loi de Van Quickenborne contre laquelle nous menons des actions…
Partout dans le monde, nous assistons à des attaques contre les droits syndicaux. La Belgique n’est pas un cas isolé. Des situations similaires existent en Grande-Bretagne et en France, par exemple. C’est précisément le droit de grève qui nous a amenés où nous sommes aujourd’hui. Nous ne pourrons jamais accepter la moindre concession à ce sujet. Nous menons ce combat au sein de l’Organisation internationale du travail, mais la lutte que mènent aussi les syndicats et d’autres organisations en Belgique est essentielle. Nous ne pouvons pas accepter la moindre limitation du droit de grève. L’édition 2023 de «L’indice des droits dans le monde» (1) montre un recul réel des droits syndicaux en Europe. C’est la première fois que l’Europe est identifi ée clairement en tant que continent où les droits régressent. Si nous regardons la Grande-Bretagne, où les attaques contre les droits des travailleurs et des syndicats sont constantes, on s’y trouve dans la même situation que dans des pays d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient ou d’Afrique. La situation n’évolue pas dans le bon sens en Europe. Agir contre ces attaques, ce n’est plus un choix, c’est une obligation!
/Qui est Luc Triangle?
Luc Triangle (3/10/1961) a travaillé à la CSC entre 1984 et 2011, tant pour les jeunes que pour la CSC-Métal de l’époque. Il a également été directeur du centre CSC d’Elewijt. En 2011, Luc Triangle, qui s’était aussi occupé de l’action internationale au sein de la CSC, s’est dirigé vers la Fédération syndicale européenne du textile, de l’habillement et du cuir, dont il est devenu secrétaire général. Entre 2012 et 2023, il a été premier secrétaire général adjoint et, ensuite, secrétaire général d’IndustriAll Europe. En mai de cette année, il est devenu secrétaire général par intérim de la Confédération syndicale internationale, dont il a fi nalement été élu secrétaire général en octobre.