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EN DÉBAT /

Marchés publics: privilégier le prix ou les droits humains?

TEXTE Patrick Van Looveren PHOTO Shutterstock | 13 DÉCEMBRE 2023 | TEMPS DE LECTURE: 4 minutes

Les institutions publiques dépensent des sommes faramineuses pour leurs achats de produits et de services. Songeons par exemple aux uniformes de nos policiers, aux pavés de nos rues, aux agents de gardiennage qui sécurisent nos bâtiments publics, etc. Ces exemples ne sont pas choisis au hasard, puisque ces marchés publics soulèvent parfois quelques problèmes. Pour les uniformes de la police belge, des sous-traitants roumains violaient les droits du travail. Les pavés qui embellissent beaucoup de nos communes sont le fruit du travail d’enfants en Inde. Rendre le devoir de vigilance obligatoire dans les marchés publics permet de prévenir les violations des droits humains et du travail.

Le 8 décembre, la CSC et WSM ont organisé une journée d’étude «Devoir de vigilance et secteurs publics».

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«Encore trop d’actions volontaires plutôt que des obligations»

Laura Eliaerts, collaboratrice au service international de la CSC

Les marchés publics sont, pour les pouvoirs publics, une façon de montrer l’exemple dans le domaine du commerce équitable et du devoir de vigilance.

L’insertion de critères sociaux dans leurs appels d’offres est une façon de procéder. Les pouvoirs publics peuvent également effectuer des contrôles ponctuels dans les chaînes de production et d’approvisionnement mondiales des entreprises et, d’ores et déjà, exclure celles qui figurent sur la liste noire de l’OCDE. Les pouvoirs publics disposent encore d’une marge substantielle pour donner l’exemple à cet égard. La CSC est favorable à un lien solide entre la législation relative aux marchés publics et les nouvelles initiatives législatives européenne et belge en matière de devoir de vigilance.

À la demande de la CSC, Hiva - l’institut de recherche de la KUL - a publié en 2021 une étude portant sur les moyens d’éviter les risques de violations des droits humains dans des chaînes d’approvisionnement complexes. Le défaut de la législation actuelle est qu’elle repose encore trop sur des actions volontaires et non sur des obligations. L’étude suggère également que les responsables politiques misent davantage sur de bons systèmes de monitoring et le renforcement des capacités des acheteurs, au travers de la formation.

Les secteurs peuvent montrer l’exemple pour des marchés publics exempts de dumping et des chaînes vertueuses. La CSC BIE, par exemple, a élaboré une charte sectorielle afin d’appliquer des conditions de rémunération et de travail équitables et de combattre le dumping social.

À l’initiative des centrales CSC flamandes de l’enseignement (COC et COV), la convention collective de travail (CCT) de l’enseignement flamand comporte une déclaration d’engagement qui a pour objet la conclusion de contrats durables. Si vous siégez dans un organe de concertation des pouvoirs publics, posez des questions sur la politique d’achat de votre service public. Existe-t-il un plan d’action pour les produits et services à risques? Si vous travaillez pour une société privée désireuse d’exécuter des marchés pour les pouvoirs publics, vous pouvez demander des informations, en conseil d’entreprise, sur les risques du point de vue des droits humains et du travail dans les chaînes d’approvisionnement de votre entreprise.

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«Il faut en finir avec les échappatoires de la législation»

Koen Repriels, conseiller au service d’étude de la CSC

En Belgique, la loi du 17 juin 2016 et plusieurs arrêtés d’exécution qui mettent cette loi en œuvre créent un cadre juridique pour les marchés publics. Cette loi n’empêche pourtant pas les sociétés véreuses de participer à des marchés publics. Il faut en finir avec ces échappatoires.

La loi stipule que «les opérateurs économiques sont tenus de respecter et de faire respecter par toute personne agissant en qualité de sous-traitant à quelque stade que ce soit et par toute personne mettant du personnel à disposition pour l’exécution du marché, toutes les obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail établies par le droit international, le droit de l’Union européenne, le droit national ou les conventions collectives.»

Tout cela semble parfait sur papier mais, en réalité, des risques de fraude existent dans les procédures de passation des marchés publics. Les entreprises et les entrepreneurs véreux continuent de décrocher des commandes et recourent au dumping lors de la réalisation de celles-ci. Ce ne sont pas des exceptions. Les services fédéraux chargés de la lutte antifraude estiment qu’il y a fraude sociale dans 30% des marchés publics dans le secteur du nettoyage.

Lien avec le droit pénal social

La loi de 2016 et ses arrêtés d’exécution comportent plusieurs leviers intéressants pour combattre la fraude sociale dans les marchés publics, par exemple, en établissant un lien entre la législation en matière de marchés publics et le droit pénal social. Ainsi, les acheteurs publics peuvent exclure préalablement des sociétés véreuses qui ont été condamnées pour de graves violations du droit pénal social. Toutefois, il n’est pas obligatoire d’examiner les motifs d’exclusion. La loi de 2016 laisse encore des échappatoires, de sorte que des sociétés véreuses peuvent encore soumissionner pour des marchés publics. Dans la pratique, les pouvoirs adjudicateurs font peu usage de la compétence facultative de contrôle et de sanction. Rien d’étonnant. Les acheteurs publics veulent acquérir des biens et des services de manière efficace et finaliser les travaux dans les «délais impartis et dans les limites du budget». Les acheteurs n’ont pas non plus la formation d’inspecteurs sociaux et se méfient des procédures judiciaires face à des avocats rusés.

En outre, les acheteurs publics travaillent de façon dispersée. Ils sont répartis entre de nombreux organismes publics. Ils ne sont pas soutenus par un service spécialisé de l’inspection sociale qui peut émettre en toute connaissance de cause un avis sur l’exclusion des marchés publics. Il n’existe pas non plus de liste noire centralisée des entreprises véreuses. Par contre, il existe un guide pratique (1), qui renseigne plusieurs initiatives qu’un acheteur public peut prendre. Analysez par exemple les prix anormaux, limitez les niveaux de sous-traitance dans les secteurs sensibles à la fraude, etc.

(1) www.publicprocurement.be

/Adhérez aux initiatives de devoir de vigilance tout au long de la chaîne de production

Des initiatives indépendantes et fiables de devoir de vigilance tout au long de la chaîne de production existent pour certains produits et services. Electronics Watch (https://electronicswatch.org/fr), par exemple, partage des connaissances sur une politique d’achats durables et sur le respect des droits humains dans les technologies de l’information et le secteur de l’électronique. L’initiative TruStone rassemble des entreprises flamandes et néerlandaises du secteur de la pierre naturelle ainsi que les pouvoirs publics néerlandais et flamands, des syndicats et des ONG pour combattre les risques qui existent tout au long de la chaîne de production (www.imvoconvenanten.nl/en/trustone-fr).

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