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DANS L’ENTREPRISE /

Réintégrer ou exclure les malades de longue durée?

Il y a à peine plus de deux ans, la législation concernant la «réintégration des malades de longue durée» a été réformée de manière significative. Nous disposons désormais de statistiques nous permettant de tirer les premiers enseignements concernant cette nouvelle législation.

La réforme d’octobre 2022 a introduit une nouveauté de taille en créant deux procédures distinctes là où il n’y en avait qu’une seule auparavant:

• le «trajet de réintégration» qui a pour objectif premier de permettre au médecin du travail de déterminer quand le travailleur malade sera apte à reprendre le travail (adapté ou non). Si le médecin du travail estime que le travailleur peut effectuer un travail adapté avant le terme de son incapacité de travail, la balle passe alors dans le camp de l’employeur qui a pour mission de proposer un plan de réintégration;

• la «procédure spécifique pour force majeure médicale» qui a pour unique objectif de déterminer si le travailleur pourra ou non retravailler un jour dans l’entreprise qui l’emploie (que ce soit une reprise «normale» du travail ou un travail adapté). C’est au médecin du travail qu’il revient de prendre cette décision. Si (et uniquement si) le travailleur est déclaré définitivement inapte, l’employeur peut alors le licencier pour force majeure médicale. À noter que cette procédure ne peut être activée, par l’employeur ou le travailleur, qu’après une incapacité de travail d’au moins neuf mois.

Cette distinction est manifestement une amélioration par rapport à l’ancienne législation. En effet, celle-ci, en intégrant la possibilité pour l’employeur de licencier pour force majeure médicale au terme d’un trajet de réintégration infructueux, devenait de fait un outil de licenciement à moindre frais pour les employeurs. Cela créait donc une confusion pour les travailleurs, mais aussi pour les médecins du travail, car on ne pouvait plus parler de «réintégration» lorsque le but poursuivi était de licencier.

Quels résultats pour 2023?

En 2023, il y a eu 6.685 trajets de réintégration et 23.074 procédures spécifiques pour force majeure médicales qui ont été menés à terme.

Les trajets de réintégration

• trois trajets sur quatre sont initiés à la demande de l’employeur.

• Lorsque l’employeur est le demandeur du trajet du réintégration, seul un peu plus d’un tiers des travailleurs est déclaré par le médecin du travail apte à effectuer un travailleur adapté (de manière temporaire ou définitive). Lorsque c’est le travailleur qui demande le trajet de réintégration, ce chiffre est plus que doublé: huit travailleurs sur dix sont déclarés aptes à effectuer un travail adapté.

• Parallèlement au «trajet de réintégration», les travailleurs semblent privilégier une voie de retour au travail moins formelle via les «visites de pré-reprises du travail» (66 784 en 2023). Nous n’avons par contre pas de données sur les reprises du travail menées à bien suite à une visite de pré-reprise.

La procédure spécifique pour force majeure médicale

• 70% des demandes de démarrage de cette procédure sont initiées par les employeurs.

• Lorsque l’employeur est à l’initiative de cette procédure, un travailleur sur quatre se voit déclarer apte par le médecin du travail (et ne peut donc être licencié pour force majeure médicale).

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Augmenter les efforts sur la prévention au travail aurait pour effet de diminuer le nombre de travailleurs rendus malades par leur travail

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Que retenir?

À l’heure où le futur gouvernement en formation annonce sa volonté d’intensifier fortement la remise au travail des malades, il serait bien inspiré de prendre connaissance de ces chiffres et de ce qu’ils nous enseignent, à savoir que:

• la majorité des employeurs licencie plus volontiers pour force majeure médicale plutôt que de réintégrer. En effet, il y a eu en 2023, de la part des employeurs, 4.881 demandes de trajets de réintégration pour 16.202 demandes de procédures spécifiques. Par ailleurs, les employeurs invoquent régulièrement cette procédure sans le résultat escompté puisque 25% de leurs demandes débouchent sur l’impossibilité de licencier pour force majeure médicale puisque le travailleur n’est pas déclaré définitivement inapte par le médecin du travail;

• lorsqu’un travailleur est à l’initiative de sa propre réintégration, celle-ci est plus efficace. En effet, dans ce cas de figure, 78% des travailleurs sont déclarés aptes à un travail adapté par le médecin du travail (contre moins de 35% lorsque l’employeur est à l’initiative). Cependant, il convient de tempérer ces chiffres: une fois le travailleur déclaré apte à un travail adapté, il faut encore que l’employeur lui fasse une proposition (raisonnable). Sur ce point-là, nous n’avons pas de données récentes exploitables.

Réflexions

Plus globalement, ces chiffres doivent aussi et surtout nous interpeller sur deux éléments.

• Tant que les employeurs ne seront pas contraints de jouer le jeu de la réintégration, la majorité d’entre eux préfèrera se séparer (à moindre frais si possible) d’un travailleur malade plutôt que de lui proposer un travail adapté, temporaire ou définitif.

• Le monde du travail rend malade les travailleurs. En Belgique, on compte désormais plus de 500.000 travailleurs en incapacité de travail depuis au moins un an. Nos dirigeants politiques commettraient une grave erreur en concentrant toujours plus leurs efforts sur la remise au travail coûte que coûte via une politique de sanctions pour les travailleurs malades.

La problématique est complexe. Les maladies dont souffrent les travailleurs sont multiples et variées. Certains ont besoin de temps pour récupérer un état de santé suffisant pour pouvoir (re)travailler, d’autres ne le pourront jamais. Et ce n’est certainement pas en les poussant à retourner au travail contre leur gré et alors qu’ils ne sont pas rétablis que l’on va inverser le cours des événements.

Au contraire, augmenter les efforts sur la prévention au travail aurait pour effet de diminuer le nombre de travailleurs rendus malades par leur travail, leur permettrait de revenir au travail dans un environnement plus propice et sain… Bref, il est indispensable d’agir sur les causes plutôt que sur les conséquences des maladies de longue durée!

À bon entendeur…

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