DOSSIER SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL /
Retour au travail: respect et bienveillance au programme chez Travie
TEXTE & PHOTO Donatienne Coppieters / 16 AVRIL 2025 / TEMPS DE LECTURE: 4 MINUTES
Chez Travie, une entreprise de travail adapté bruxelloise, les malades de longue durée sont nombreux. Depuis 2023, des parcours de réintégration ont été mis en place. Une fois n’est pas coutume, nous avons interviewé ensemble Jean Wouters, son directeur, José Ramon Fernandez, un délégué CSC, et Chaimae Itak, la responsable RH et du service social qui collaborent harmonieusement. De quoi inspirer chaque entreprise.
L’objectif d’une entreprise de travail adapté (ETA) est d’offrir et d’organiser le travail pour des personnes en situation de handicap. Le travail et les postes de travail sont adaptés aux capacités des travailleurs qui sont organisés en équipes. Chez Travie, le bâtiment de 22.000 mètres carré abrite des métiers très variés de manutention, de conditionnement, d’assemblage de vélos électriques, etc.
Si elle est subsidiée en partie par la Cocof, l’ETA doit aussi assurer une certaine rentabilité. Elle dispose d’un quota de 400 personnes, dont 335 travailleurs handicapés et 65 encadrants. Cependant, le nombre de personnes présentes sur le site varie en raison de temps partiels, de flexibilité… et de malades.
Près d’un tiers de malades
L’entreprise doit composer en permanence avec un nombre important de malades de longue durée. Les causes en sont notamment l’évolution du handicap et le vieillissement des travailleurs. Fin 2024, 120 travailleurs étaient absents depuis au moins trois mois.
La procédure de réintégration commence quand un travailleur manifeste son souhait de revenir. La première étape est une consultation avec le médecin du travail, qui évalue la capacité du travailleur à reprendre son poste, éventuellement avec des recommandations comme travailler à mi-temps ou éviter certains types de tâches. Une fois l’évaluation reçue, 49 jours maximum après ce rendez-vous, l’employeur dispose de 63 jours pour réintégrer le salarié.
«Au niveau de l’entreprise, deux rendez-vous sont proposés au travailleur, explique Chaimae Itak, responsable RH et du service social. Le but du premier est de savoir comment il va, s’il se sent prêt à reprendre son ancien poste ou s’il faut l’adapter ou éventuellement le changer de département. Si on se rend compte qu’il y avait un problème avec un collègue ou un responsable, on essaye de trouver des solutions. Une assistante sociale, un délégué syndical si le travailleur le souhaite et une ergothérapeute de la Fédération bruxelloise des entreprises de travail adapté participent à cette réunion avec moi. Un suivi est réalisé pendant six mois, avec une visite hebdomadaire de l’ergothérapeute pour s’assurer du bon déroulement de la reprise. Maximum deux semaines après cette rencontre, un second rendez-vous est organisé avec en plus de moi, une assistante sociale et l’assistante vie au travail. Le jour de sa reprise, le service social l’accompagne au département pour le rassurer parce que certains sont très stressés à l’idée de reprendre, parfois après 2-3 ans d’arrêt. On désigne aussi un parrain à qui le travailleur peut se référer si quelque chose ne va pas. Le trajet de réintégration dure six mois. Au bout de trois mois et six mois, une évaluation est réalisée par l’assistante vie au travail, le responsable de département et le travailleur. Le but est de voir s’il se sent toujours bien. Pour qu’il ne retourne pas en incapacité de travail, c’est à nous de mettre des choses en place et c’est important d’être à l’écoute.»
Le CPPT allié
Le CPPT joue un rôle dans la procédure de réintégration. «Ces procédures ont été concertées au CPPT et elles sont très bien respectées, explique José Ramon Fernandez, délégué au CPPT. On s’est mis d’accord pour accélérer la procédure et la réduire à deux semaines. Il n’y a pas de raison de traîner. On fait un point chaque mois au CPPT pour voir où on en est dans les trajets de réintégration. Comme délégués, nous sommes bien intégrés dans le système. On intervient à la demande du travailleur, parfois de Chaimae aussi. Et on peut toujours aller discuter avec l’assistante sociale en cas de problème.»
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«À nous de mettre les choses en place pour que la personne ne retourne pas en incapacité de travail.»
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Chez Travie, 14 dossiers de réintégration sont en cours. La nouvelle législation de 2023 a apporté un changement positif: «Avant la loi, il n’y avait pas de procédure particulière, se souvient Jean Wouters, le directeur. La personne revenait, parfois sans prévenir. Il y avait juste une visite de reprise du travail par le médecin du travail et on allait voir la personne sur son poste de travail pour s’assurer que tout allait bien. Mais on était “passifs” parce qu’on ne pouvait pas agir autrement. Avec la nouvelle législation, on s’est mis en conformité pour le faire professionnellement et avec une accélération de retours, mais pas dans des proportions qui nous submergent. Pour le moment, la plupart des retours se passent bien. On peut les intégrer sans problème parce qu’on a un turn over de 30 à 40 personnes par an. Les départs permettent d’intégrer les retours.»
«Ce qui est plus compliqué, ajoute José, c’est quand des travailleurs sont obligés de reprendre le travail parce qu’ils ont reçu une décision de la mutuelle comme quoi ils ne seront plus indemnisés. Dans ce cas, Travie et la CSC, via son service juridique, les soutiennent dans leurs démarches, éventuellement pour contester la décision.»

Jean Wouters, directeur de Travie, Chaimae Itak, responsable RH et du service social et José Ramon Fernandez, délégué CSC: «On est fiers de ce qu’on fait. On marche tous dans la même direction, ce qui facilite les choses.»
L’importance de la formation
Chez Travie, une formation interne est désormais prévue pour sensibiliser le personnel de l’encadrement, moniteurs et responsables de départements, à l’accueil des travailleurs de retour après une maladie: comment les recevoir, être à l’écoute, communiquer de manière appropriée, notamment en évitant des remarques qui pourraient être mal perçues, tenir compte de leurs difficultés et adapter leurs postes de travail de manière adéquate…
«Notre rôle à tous est de protéger nos travailleurs tout en assurant l’équilibre de productivité auquel on est soumis, précise Jean Wouters. Les délégués, Chaimae et moi-même sommes très vigilants à éviter une pression sur les travailleurs tout en accompagnant un rythme de travail correct. On remarque que quand on est en pleine activité, bien organisés, les travailleurs se sentent mieux que dans les périodes creuses. La productivité n’est pas du tout un mot inadéquat dans une ETA. Mais elle doit être bien cadrée pour protéger les travailleurs de toute pression inutile et malveillante. Nous devons faire attention à ce que les travailleurs se réintègrent bien. On est très attentif à l’aspect psychologique du retour au travail, tant dans le chef du travailleur que dans les équipes. Dans une entreprise classique, le regard posé sur la personne qui revient après une longue absence n’est peut-être pas toujours compréhensif et bienveillant. En ETA, cette problématique est plus simple parce qu’on a beaucoup d’encadrants, d’assistants sociaux, d’ergonomes… et cette habitude d’être attentif.»
Et de conclure ensemble: «On est fiers de ce qu’on fait. On marche tous dans la même direction, ce qui facilite les choses.»