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FACE À FACE /

Un revenu décent pour les producteurs de cacao

TEXTE Patrick Van Looveren & Donatienne Coppieters | PHOTOS Layla Aerts | 15 mai 2024 | temps de lecture : 4 minutes

La Conférence mondiale sur le cacao s’est réunie en Belgique. À cette occasion, 29 pays importateurs et 23 pays exportateurs ont rencontré les parties prenantes du secteur: aussi bien les producteurs et les coopératives du cacao que les multinationales du chocolat. «Payer plus pour un cacao durable», tel était le point de départ des débats. La CSC Alimentation & Services, CSC International et WSM souscrivent pleinement à ce mot d’ordre. En marge de la conférence, ils ont organisé un échange de vues entre des militants CSC des usines de chocolat en Belgique et des producteurs de cacao originaires de République dominicaine. Cet échange s’inscrivait dans le cadre de leur projet de devoir de vigilance tout au long de la chaîne de production.

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«Le prix payé pour nos fèves n’est pas correct. Surtout lorsqu’on le compare à ce que gagnent les entreprises chocolatières et les spéculateurs, qui sont placés plus loin dans la chaîne. C’est inadmissible.»

Pedro Salazar

Pedro Salazar est producteur de cacao en République dominicaine. Avec sa famille, il cultive des cacaoyers depuis plusieurs générations sur un terrain de 14 hectares. Il récolte 6 tonnes de cacao par an. «La récolte pourrait être beaucoup plus abondante si nous disposions des moyens techniques. Nous n’avons pas d’argent pour investir. Le travail est presque exclusivement manuel.»

Pedro est bien conscient que l’union fait la force. Il est donc membre du syndicat dominicain FEDELAC (Federacion Dominicana de Ligas Agrarias Cristiana) qui défend les droits des travailleurs du secteur agricole. Il est en outre administrateur de la coopérative cacaoyère COPROAGRO, qui regroupe 2.400 producteurs. «Grâce à la coopérative, nous essayons d’obtenir de meilleurs prix. C’est bien cela le gros problème. Le prix que nous recevons pour nos fèves est beaucoup trop bas. Ce prix est juste suffisant pour survivre. La coopérative a obtenu un certificat de l’Union européenne. Nous devons satisfaire à certaines conditions. Par exemple, le travail des enfants est interdit, de même que l’abattage illégal de la forêt tropicale pour créer des plantations supplémentaires. Par ailleurs, nous n’utilisons pas de produits chimiques.»

«C’est la première fois que je viens en Europe. Je profite de ma visite pour conscientiser les gens et leur montrer que le revenu des producteurs de cacao est beaucoup trop bas. Le prix payé pour nos fèves n’est pas correct. Surtout lorsqu’on le compare à ce que gagnent les entreprises chocolatières et les spéculateurs, qui sont placés plus loin dans la chaîne. C’est inadmissible. Les producteurs locaux comme nous sont très dépendants des aléas de la météo. En République dominicaine, le changement climatique provoque une sécheresse extrême. Pour la saison écoulée, la production a diminué de 30 à 40%. Nos revenus ne cessent donc de baisser, tandis que les prix n’augmentent pas proportionnellement. Le transport est un autre problème. Les routes sont en mauvais état. Les pouvoirs publics ne prennent pas leurs responsabilités. Les enfants des producteurs de cacao migrent donc vers les villes pour y chercher du travail.

Je suis très heureux de faire partie du projet de devoir de vigilance entrepris par la CSC et WSM. L’échange avec les militants de la CSC fut très enrichissant, tout comme les visites aux usines de chocolat de Barry Callebaut à Wieze et Natra à Malle. C’était chouette de voir ce que deviennent nos fèves de cacao un peu plus loin dans la chaîne de production. Le secteur du cacao brasse beaucoup d’argent. Les producteurs locaux ont le droit de recevoir une plus grande part du gâteau.»

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«Nous posons à la direction des questions pertinentes sur la durabilité de la chaîne.»

Tim De Meyst

Tim De Meyst est délégué CSC à la plus grande chocolaterie au monde, celle de Barry Callebaut à Wieze. Tim a passé 21 années sur les chaînes de production comme opérateur de la chaîne et comme contrôleur de viscosité. Depuis deux ans, il fait partie d’une équipe de R&D qui teste de nouvelles recettes en collaboration avec les clients ou adapte les recettes existantes. «Nous traitons les fèves du monde entier. Chacune a un goût différent. Les succédanés du lait, par exemple,
sont aussi très demandés.» Il s’est engagé dans le syndicalisme depuis quatre ans. «Ma collègue Leen De Proost et moi sommes impliqués dans le projet de devoir de vigilance de la CSC Alimentation et Services, de la CSC International et de WSM, avec les militants CSC de Mondelez (Herentals) et Cargill (Mouscron). Nous travaillons pour des entreprises concurrentes, mais nous sommes des collègues syndicalistes.»

Barry Callebaut a lancé en 2016 son propre projet de durabilité, dénommé ‘Forever chocolate’. «Grâce au projet de la CSC et aux connaissances que nous avons acquises, nous pouvons, lors de la concertation sociale, poser à la direction des questions pertinentes sur la durabilité de la chaîne. Lorsque le CEO qui dirige notre usine ne peut pas nous répondre, il nous renvoie au gestionnaire du devoir de vigilance à Zurich. Nous nous informons alors auprès de cette personne.

Les délégués des autres syndicats se moquent de nous parce que, contrairement à nous, ils ne se soucient pas de la durabilité de la chaîne. Pour nous, l’un ne va pas sans l’autre. Il s’agit à la fois de défendre les droits de nos collègues dans les usines et de revendiquer davantage de durabilité dans la chaîne. Dans son plan ‘Forever chocolate’, Callebaut s’engage notamment à ce que les 500.000 producteurs de cacao de la chaîne d’approvisionnement disposent d’un revenu décent. Si l’entreprise et le secteur ne prenaient pas cet engagement, ils se tireraient une balle dans le pied. En tant que délégués syndicaux, nous devons veiller à ce que cet engagement soit tenu. Lors des échanges que nous avons avec des producteurs de cacao comme Pedro, tout cela devient très concret. La conférence sur le cacao et le projet de devoir de vigilance ne sont pas des initiatives distantes.»

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«Nous avons grandement besoin de nos représentants européens pour tracer la voie pour une rémunération correcte des cultivateurs de cacao.»

Michaël Duburcq

Michaël Duburcq est superviseur chez Cargill chocolate Belgium depuis 2005 et délégué au CE depuis quatre ans. Spécialisée dans la fourniture d’ingrédients alimentaire, Cargill est une entreprise américaine répartie dans plus de 60 pays. Elle compte plus de 150.000 travailleurs dans le monde, dont environ 300 à Mouscron. Cargill Mouscron produit du chocolat au lait et du chocolat noir, soit en état solide (pépites, pastilles...), soit en état liquide. Le cacao utilisé provient essentiellement de Côte d’Ivoire, mais aussi du Ghana, Pérou, Madagascar.... L’entreprise paye-t-elle les producteurs de cacao à un prix juste? «Je pense que Cargill a eu mauvaise presse dans le passé à ce sujet et de ce fait, il était nécessaire qu’elle fasse des efforts, explique Michaël Duburcq. Étant travailleur chez Cargill et me souciant d’être un consommateur responsable, je ne peux me référer qu’aux promesses de mon employeur à ce sujet et donc faire confiance à leur programme. Avec un groupe de la CSC, j’ai eu l’opportunité de participer à un travail sur le devoir de vigilance et, à la conférence mondiale du cacao à Bruxelles, de rencontrer et d’échanger avec des producteurs de la République dominicaine. Ce que je retiendrai de cette conférence est qu’il y a tellement d’intermédiaires entre les producteurs de cacao et les industriels du chocolat qu’il sera très difficile d’arriver à mieux rémunérer les cacaoculteurs. Néanmoins, l’entreprise Tony’s nous a démontré que c’était possible. Alors pourquoi cela ne le serait-il pas pour nous? Le chemin est et restera très long. Nous avons grandement besoin de nos représentants européens pour tracer la voie.»

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