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Zoetis: une CCT 90 obtenue après une grève exemplaire
INTERVIEW Donatienne Coppieters / PHOTO CNE / 15 octobre 2025 / temps de lecture 5,5 minutes
Les travailleurs de Zoetis Belgium à Louvain-la-Neuve ont mené une grève, du 8 septembre au 12 septembre, pour réclamer leur part de gâteau. Une première dans l’entreprise. Éric Catinus, délégué CSC ouvrier (CSC BIE) et Hocine Chalabi, délégué CSC employé (CNE) nous expliquent leur combat pour obtenir une CCT 90.
Quelle a été l’évolution de Zoetis et quel est le contexte actuel?
Hocine: L’entreprise a connu une profonde transformation en 60 ans. À ses débuts, elle fonctionnait de manière familiale, avec une équipe réduite et une production maîtrisée. Depuis le rachat de Pfizer par Zoetis en 2012, on est passé de 250 à 533 travailleurs, et le site leader a changé quatre fois en dix ans, ce qui a entraîné beaucoup de changements.
L’entreprise a évolué d’un modèle familial vers un modèle industriel avec de nouveaux produits, de nouvelles machines, une cadence de travail soutenue de six jours par semaine, avec des appels réguliers à des volontaires pour les samedis, une main-d’œuvre souvent jeune et pas toujours formée à 100%. Plusieurs membres de la direction ont instauré une culture de la performance sans retour équitable pour les salariés.
Cette croissance rapide s’est accompagnée d’une réduction progressive des avantages pour les travailleurs: disparition du cadeau de fin d’année et de Saint-Nicolas, de chèques achat, baisse des avantages sociaux…, tandis que ceux des 11 directeurs ont augmenté.
Éric: Le mécontentement couvait depuis longtemps et un arrêt de travail des magasiniers a été un déclencheur. Malgré des années de remontées de différents problèmes dans plusieurs services, peu de choses ont changé. Une tentative d’obtenir une prime via la CCT 90 en 2023 n’a pas abouti. Chaque fois qu’on la relançait, la direction la conditionnait à la signature d’autres conventions (nuits, week-ends, pointage) que nous avons signées sans jamais rien obtenir en retour.
Quel a été l’élément déclencheur de la grève?
Hocine: Lors du CE annuel sur les informations économiques et financières, nous nous sommes rendus compte qu’un montant de 800.000 € avait été versé en 2024 aux 11 directeurs en plus de leur salaire et avantages, au lieu de 500.000 l’année précédente, soit un bonus de plus de 72.000 euros par personne. Malgré les questions posées, nous n’avons pas obtenu d’explications.
Éric: C’est le même problème dans la plupart des multinationales. Les directeurs ont un bon salaire et des avantages extra légaux parce qu’ils ont fait des études et ont des responsabilités. Par après, quand les bénéfices sont bons, ils se versent une prime. Mais on peut aussi réfléchir autrement. S’ils s’offrent un bonus, pourquoi ils ne récompensent pas aussi les travailleurs. J’ai posé la question à deux d’entre eux: «Est-ce vous qui faites tourner l’usine?» Ils ont répondu: «Non, c’est tout le monde». Mais alors, si l’usine fonctionne grâce à tous - les ouvriers de maintenance, la prod, le packaging, le magasin, la recherche… - pourquoi les bénéfices ne sont-ils pas partagés équitablement?
Comment s’est déroulée la grève?
Hocine: Après un sondage auprès du personnel qui s’est montré favorable à une CCT 90, nous avons déposé un préavis de grève en front commun avec les trois syndicats.
Une assemblée a été organisée pour informer les travailleurs et soumettre au vote la proposition de CCT 90. Les 250 travailleurs présents ont voté en sa faveur et ont validé le principe d’une grève pour obtenir cette CCT.
La grève a débuté immédiatement après l’assemblée. Le lendemain, l’entrée du site a été bloquée par un piquet dès 5h du matin, sauf pour les directeurs. Lors d’un premier échange, la direction a proposé de renouveler la CCT de nuit et d’imposer unilatéralement le nouveau règlement de travail incluant la pointeuse en contrepartie d’une prime non récurrente, et ce sans répondre à la demande principale. Face à notre refus, elle a mis fin au dialogue.
Éric: Le jeudi, nous avons appris que la direction envisageait de faire sortir une production via une société externe. Nous avons dès lors décidé de bloquer toutes les entrées du site, y compris pour les membres de la direction. Le lendemain, nous avons également bloqué l’accès au site Watson, à 800 mètres de Zoetis. Plusieurs huissiers ont été envoyés pour nous mettre la pression, mais cela n’a pas eu d’effet sur notre détermination et il ont simplement constaté la situation.
Le vendredi, lors d’une réunion, la direction a proposé «un super truc à nous offrir» sans en dévoiler le contenu, à condition de rouvrir le site. Nous avons refusé: une fois les accès ouverts, nous perdions tout levier. On a mis fin à la discussion et on a claqué la porte.
Comment cela s’est-il terminé?
Éric: Face à l’impasse des discussions avec les négociateurs - l’équipe des ressources humaines en qui la confiance était rompue - nous avons décidé de contacter directement la directrice générale du site, qui est en fonction depuis 2-3 mois. Elle a accepté de rencontrer une délégation syndicale, juste accompagnée d’un directeur apprécié pour sa modération.
Hocine: Nous lui avons expliqué les dysfonctionnements qu’elle ignorait dont la perte progressive des cadeaux et avantages sans compensation malgré les bons résultats financiers.
Après cette première entrevue, elle est revenue rapidement avec une proposition.
Éric: La proposition prévoit une CCT 90 pour l’année 2026 avec l’octroi d’une prime conditionnée à des objectifs collectifs et atteignables encore à définir d’ici au 30 novembre. En parallèle, des groupes de travail hebdomadaires réunissant représentants des travailleurs, direction et RH seront mis en place pour traiter les problèmes de fond: stress, conditions de travail, équipements, rejets non conformes, bien-être…
Hocine: Le protocole signé prévoit aussi l’interdiction de toute représailles post-grève pour protéger entre autres les CDD et les intérimaires. Et pour 2025, l’obtention d’un cadeau de fin d’année. Nous avons finalement accepté cette proposition qui est une avancée significative et nous avons rouvert le site le vendredi à 19h30.
Pourquoi avez-vous négocié la CCT 90 plutôt qu’une augmentation salariale?
Éric: La CCT 90 est plafonnée et taxée à 13%. Elle s’applique de manière équitable aux employés comme aux ouvriers. Elle doit être renégociée chaque année, ce qui signifie qu’elle peut évoluer - à la hausse ou à la baisse - selon les résultats et les discussions. À la différence d’une augmentation salariale, qui représente un coût fixe et durable pour l’entreprise, la CCT 90 offre une solution plus souple et adaptée à la performance collective.
Ce fonctionnement nous paraît juste: la santé de l’entreprise est aussi celle de ses travailleurs.
Quel est votre état d’esprit après cette action syndicale qui semble exemplaire?
Éric: L’état d’esprit reste mitigé. La confiance avec certains membres de la direction a été rompue, et il faudra du temps pour rétablir un climat serein. Les tensions sont encore présentes et de nombreuses incertitudes demeurent.
Cependant, après la grève, la reprise s’est faite dans de bonnes conditions. Les équipes sont motivées et souhaitent travailler dans un esprit constructif. Globalement, les travailleurs sont satisfaits des avancées obtenues.
Houcine: Le combat a été difficile, mais il s’est conclu positivement et nous sommes fiers du résultat. Cette mobilisation a renforcé la solidarité: les collègues savent désormais qu’ils peuvent compter sur les délégués et le syndicat. Malgré les épreuves, la motivation est intacte. La première réunion avec la direction qui a suivi la grève s’est déroulée dans un bon climat. L’objectif est clair: reconstruire la confiance et poser des bases solides pour avancer ensemble.
Éric Catinus
Magasinier et délégué CSC BIE, Éric assure un premier mandat de délégué en DS dans une nouvelle équipe de quatre nouveaux délégués et un ancien.
Hocine Chalabi
Délégué employé CNE, Hocine travaille depuis 14 ans chez Zoetis, d’abord comme opérateur au packaging (ouvrier), puis comme technicien au packaging (employé). Après ses mandats aux CE, CPPT et en DS comme ouvrier, quand il est devenu employé, il a créé la CNE qui n’existait pas chez Zoetis LLN. Il est effectif au CE et en DS. La délégation syndicale employée compte deux délégués FGTB, un délégué CSC et un CGSLB.
ZOETIS
Zoetis est une entreprise multinationale de vaccins et de médicaments pour animaux dont le siège est aux États-Unis. Zoetis Belgium à Louvain-la-Neuve compte 533 travailleurs: ouvriers, employés et cadres.