FLASHBACK /
Interview croisée de Roberto Parrillo et de Ludovic Moussebois
Interview : AC-ML // Photos : CSC-Transcom // Temps de lecture: 5 minutes
Roberto Parrillo est devenu le permanent francophone du secteur du transport routier à Bruxelles en 1997 et a été nommé responsable général du secteur transport routier et logistique dès 2001. En avril 2024, il passera le flambeau à Ludovic Moussebois, permanent dans le secteur depuis 2020.
Roberto, tu vas bientôt céder ta place à Ludovic après 27 ans dans la fonction. Un petit retour sur tes débuts dans le métier ?
R.P. Une série de circonstances m’ont propulsé en 1997 comme responsable du secteur transport routier et logistique alors que jusque-là, j’avais travaillé aux Forges de Clabecq de 1974 à 1989, puis comme permanent interprofessionnel à la Louvière. En ce temps, il s’agissait d’assurer le service aux affiliés lors de permanences, 3 ou 4 jours par semaine, en soirée. Je devais principalement envoyer aux collègues responsables les documents de chômage et primes syndicales (sous format papier à l’époque !) et servir de relais avec les centrales professionnelles. J’entretenais surtout des contacts écrits avec des collègues des secteurs de l’alimentation (boulangeries industrielles, Viangro, etc.) et du transport. En 1990, il faut savoir que dans la partie francophone du pays, il n’y avait qu’un responsable du transport pour toute la Wallonie et un autre à Bruxelles. En 1997, il a fallu trouver un remplaçant au permanent responsable de ce secteur pour Bruxelles et on a pensé à moi.
C’est ainsi que j’ai officiellement pris mes fonctions en octobre 1997 même si j’avais déjà commencé en mai de la même année. Pour la petite anecdote, on m’avait assigné un bureau… qui était complètement vide. Je me suis même blessé le premier jour en transportant une vieille table en fer dans ce bureau ! Je ne connaissais pas plus le secteur que cela et j’ai tout appris sur le tas. Très rapidement, j’ai commencé à apprécier ce secteur. Les chauffeurs sont des gens au parler franc, ce qui a l’avantage de ne pas entretenir de confusions inutiles, et ils ont le cœur sur la main.
De fil en aiguille, les choses se sont mises naturellement en place, surtout quand j’ai commencé à participer au Dialogue sectoriel européen en 1998. Ce n’était pas un organe officiel à l’époque.
« La partie logistique du secteur s’est développée au détriment de la partie transport. Le métier s’est diversifié. »
(Ludovic Moussebois)
L.M. Le contexte est différent pour moi. Je suis permanent depuis 4 ans dans le secteur et j’ai postulé à ce poste de responsable général. Même s’il sera difficile de prendre la succession de Roberto, entre-temps devenu un expert en la matière, je connais le secteur. Je suis chauffeur routier de métier depuis mes 21 ans, par choix, date à laquelle j’ai obtenu mon permis de conduire poids lourds. Evidemment, l’environnement de travail a évolué depuis la prise en fonction de Roberto. La partie logistique du secteur s’est développée au détriment de la partie transport. Le métier s’est diversifié. Contrairement à Roberto, qui a fort axé son action au niveau de l’Union européenne pour faire évoluer la situation dans le secteur, je compte me recentrer principalement sur la situation en Belgique. Tout en gardant un œil attentif sur ce qui se passe au niveau européen, bien entendu !
Roberto, quelle la victoire la plus importante que tu aies obtenues pour le secteur ?
Vers 2010-2011, Siim Kallas (un politicien estonien nommé entre 2010 et 2014 comme Commissaire européen aux Transports, NDLR) avait annoncé son intention de libéraliser entièrement le secteur. Sa réforme commençait par la libéralisation du cabotage. En décembre 2012, la Commission européenne présente alors une proposition de législation allant dans ce sens.
Michael Nielsen, le secrétaire général d’IRU (Organisation internationale des transporteurs routiers, NDLR), me contacte alors pour discuter de ce projet législatif clairement nuisible au monde du transport routier, y compris de ses travailleurs. Le 7 décembre 2012, nous sortons une déclaration commune de 4 lignes où nous prônons l’harmonisation du secteur avant toute libéralisation éventuelle. Cette déclaration secoue le Parlement européen qui décide de prendre les choses en main. En février 2013, toujours en tant que partenaires sociaux, nous déposons une déclaration de 13 pages sur notre vision du secteur. Et, surprise, contre toute attente, en mai 2013, Siim
Kallas abandonne son projet… fait rare à ce stade de la procédure législative européenne.
Ce moment-clé dans le transport routier a servi de prise de conscience. En juillet 2015, Jean-Claude Juncker (président de la Commission européenne de 2014 à 2019, NDLR) faisait une déclaration mentionnant les termes de concurrence (dé)loyale et dumping social dans le secteur.
J’en profite pour souligner que nous travaillons à faire évoluer favorablement les intérêts du secteur dans le sens large du terme, c. à d. de tous, patrons comme travailleurs car les uns ne vont pas sans les autres. Voilà bien toute l’importance du dialogue social européen.
Roberto, si tu avais un conseil à donner à Ludovic ?
En réalité, Ludovic connaît bien le secteur. Dans ce sens, il a plus de chance que moi à l’époque. Toutefois, le secteur est devenu plus complexe. Un exemple très concret me vient à l’esprit : actuellement, les faits et gestes des chauffeurs sont continuellement traqués. Ils dévient de 200 mètres de l’itinéraire qui leur a été préparé et leur GSM sonne, ils doivent s’expliquer avec le patron ! Ce n’était pas le cas auparavant. L’élargissement de l’Europe a créé des difficultés supplémentaires. La logistique est devenue deux fois plus importante que le transport en lui-même. Les enjeux pour l’avenir sont énormes.
Il faudra que Ludovic imprime ses marques petit à petit et les choses viendront naturellement. On apprend tous les jours, du premier jusqu’au dernier jour. Je lui conseille de s’entourer de personnes compétentes ; les amis, c’est pour les loisirs.
L.M. Tout à fait d’accord. Et c’est vrai que beaucoup de défis attendent le secteur : pollution, camions électriques, législation en constante évolution, administration du Fonds Social Transport et Logistique, pénurie de chauffeurs, manque d’attrait pour la profession, évolution du secteur logistique avec le remplacement de travailleurs peu qualifiés par des machines… Avant, on devenait chauffeur pour découvrir l’Europe. Maintenant, la concurrence déloyale a cantonné les chauffeurs belges à des petits trajets nationaux peu intéressants.
R.P. L’intelligence artificielle n’est que la mise en commun de tous les savoirs dans une machine qui en fait ensuite le tri. L’avenir syndical suit cette même logique : il est crucial de communiquer, rassembler les connaissances des uns et des autres et en faire ressortir le meilleur. Il faut être en capacité de travailler ensemble, dégager des synergies, consolider au maximum les savoirs, d’avoir une vision commune pour affronter les enjeux et défis de demain. Quand on veut discuter, il faut partager.
« Il faut être en capacité d’avoir une vision commune pour affronter les enjeux et défis de demain. »
(Roberto Parrillo)
Ludovic, si tu avais encore une chose à dire à Roberto ?
Que comptes-tu faire dans le futur ? Je suppose que tu ne vas pas rester inactif mais que tu ne vas pas non plus te lancer en politique…
R.P. Non, effectivement, cela ne fait pas partie de mes projets. Mais on ne sait pas de quoi le lendemain est fait et il ne faut jamais dire jamais. Par contre, si je suis sollicité pour le faire, ce qui serait une forme de reconnaissance de mon expertise, je partagerais volontiers mes connaissances lors de formations ou de conférences.. //