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L’ENTREVUE /

Interview de Stéphane Daussaint

Interview et texte - AC-ML / Photos - CSC-Transcom / Illustration - Rutger Van Parys / temps de lecture: 8 minutes

Les postiers doivent se résoudre à entreprendre des actions pour revendiquer leur droit à effectuer leur travail correctement. Comment en est-on arrivé là ?

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« bpost paie les errements managériaux depuis plus de 20 ans »

Stéphane Daussaint

Stéphane, comment est-ce qu’une entreprise reconnue par le passé comme première de classe en Europe dans le secteur postal a pu laisser la place aujourd’hui à une entreprise où les travailleurs se sentent démunis, n’arrivent plus ni à effectuer correctement leur travail quotidien ni à construire un plan de carrière au sein de bpost ?

Il est vrai que le visage de l’entreprise a beaucoup changé au cours des ans. La Poste était renommée parmi ses consœurs européennes pour la qualité et la fiabilité de son service. La situation dramatique que nous connaissons aujourd’hui et qui a mené aux actions de février n’est que le résultat d’une longue succession d’erreurs de gestion dans un environnement qui a connu de grands bouleversements. Imaginez : les travailleurs de bpost ne demandent ni argent ni avantages mais simplement de pouvoir effectuer correctement leur travail dans des conditions au minimum décentes.

A partir de quand doit-on remonter pour comprendre les problèmes actuels chez bpost ?

Nous pourrions y consacrer une édition spéciale ! Je vais m’arrêter à quelques dates et faits clés. Les années 1990 ont été marquées par de grands bouleversements qui vont impacter de plein fouet le secteur postal. Au niveau mondial, on pense a l’avènement des nouvelles technologies de l’information et au niveau européen, en 1997, la Commission Européenne commence à ouvrir le marché postal à la concurrence.

En Belgique, dès 1991, La Poste devient entreprise autonome publique et en 1994, les statuts et règlements de l’entreprise sont révisés et soumis à d’importantes modifications. Le passage d’une logique de service public à une logique commerciale est enclenché. Les administrateurs-délégués vont commencer à se succéder, avec plus ou moins d’intégrité et de vision à long terme, souvent avec peu d’égards pour le bien-être des collaborateurs pour diriger ce qui devient une entreprise marchande de moins en moins au service du public et de plus en plus à celui de ses actionnaires. Les premiers problèmes commencent alors à pointer le bout de leur nez.

Tout d’abord, La Poste commence à embaucher des travailleurs contractuels, ce qui n’est pas prévu par la législation en vigueur. Les employés et les facteurs sont les premiers concernés, puis tous les niveaux suivent les uns après les autres. Il s’agissait d’abord de remplacer les travailleurs en pause-carrière mais par la suite, les embauches de contractuels deviennent la norme, au détriment du statut prévu par la loi. Les dernières campagnes légales de recrutement ont lieu en 2001-2002 et les dernières régularisations en 2003.

En 1992, La Poste connaît une première vague de fermeture d’agences postales et de petits bureaux de proximité.

Fin 1996, André Bastien succède à Joseph Becco comme administrateur-délégué. Sa gestion de l’entreprise est considérée à l’époque comme chaotique. Les résultat financiers sont mauvais et l’automatisation des tâches fait perdre des emplois dans les centres de tri.

En 1998, M. Bastien a des démêlés juridiques (NDLR : dans le cadre de l’affaire Agusta-Dassault).

En janvier 2000, le Conseil des ministres décide de le remplacer par Frans Rombouts. Ce dernier veut intensifier drastiquement la politique de diversification des activités, parfois de manière hasardeuse. En mars de cette même année, La Poste devient une SA de droit public. Celle-ci sponsorise deux clubs de football de division 1 (!?). Par ailleurs, on apprend que M. Rombouts utilise régulièrement un hélicoptère pour ses déplacements. A la suite de deux audits demandés par le gouvernement concernant sa gestion de l’entreprise et des finances de cette dernière, le gouvernement décide de le remplacer dans ses fonctions fin 2000.

« Les travailleurs de bpost veulent pouvoir exercer leur métier correctement, ni plus, ni moins ! »

Johnny Thijs lui succède en 2002 et occupera deux mandats consécutifs d’administrateur-général jusqu’en fin 2014. Il veut rétablir la sérénité dans l’entreprise, corriger les problèmes opérationnels et rétablir un bon dialogue social. Il s’éloigne des choix décisionnels de son prédécesseur. Il est connu pour être strict mais correct. Il établit un vrai plan d’entreprise avec une vision d’avenir réfléchie : nouveaux centres de tri, automatisation, départs naturels, plans de départ volontaires, chantiers prioritaires. M. Thijs est un administrateur-délégué respecté par le personnel et tout semble évoluer pour le mieux jusqu’à l’achat et l’implémentation du logiciel Georoute.

Ce logiciel, utilisé par la Poste canadienne, n’est pas assez flexible que pour être modulé efficacement à la réalité du terrain belge. La charge de travail est déséquilibrée. Le mécontentement et les arrêts de travail reprennent. Les revendications de l’époque par rapport à ce logiciel sont d’ailleurs toujours celles d’aujourd’hui.

En 2004, La Poste renoue avec les bénéfices et se commercialise de plus en plus. Les travailleurs sont formés aux techniques de vente et l’entreprise diversifie ses activités sous forme de rachats ou partenariats en Belgique ou à l’étranger d’entreprises ayant des activités commerciales considérées comme complémentaires à celles du service au public (par exemple : partenariat avec Western Union, création de relais points poste entre autres au sein de Delhaize et Fortis Banque, partenariat avec la Poste danoise particulièrement moderne et efficace, création de Certipost, création d’une boutique en ligne, partenariat avec eBay, etc.).

La poursuite de l’automatisation, la modernisation et l’implémentation de Georoute 2 accélèrent les pertes d’emploi. A titre d’exemple, un trieur de nuit trie entre 8.000 et 9.000 pièces par nuit alors que la machine peut en trier 30.000 en une heure seulement. Quant à la polémique autour de Georoute 2, elle finit par provoquer en 2005 trois semaines de grève totale au centre de Liège 2. De plus, ce système attribue des territoires différents aux facteurs tous les deux ans, provoquant du mécontentement à la fois au niveau des facteurs qui doivent tout le temps réapprendre à travailler efficacement leurs tournées et au niveau des citoyens, qui finissent par ne plus connaître leur facteur du tout.

Ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres. La modernisation de La Poste est évidemment plus que nécessaire mais elle se fait au détriment du travailleur et de la qualité du travail et services rendus au public. Une gestion globalement saine d’entreprise ne devrait pas en escamoter la dimension sociale.

En juin 2010, La Poste devient bpost et modernise son logo. En 2011, le marché postal est totalement libéralisé. A ce moment, le volume de courrier est tombé particulièrement bas en Belgique alors que le marché des paquets continue à se développer. Au niveau international, après les Etats-Unis, bpost devient actif sur le marché asiatique après acquisition et en Chine par accord de collaboration.

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Actions de février 2025

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Après l’entrée en Bourse mi-2013, l’action est valorisée à 14,50 €. Elle n’en vaut plus que 1,61 € fin février, soit moins que le prix d’un timbre prior. Cela en dit long sur la confiance que les investisseurs placent dans l’entreprise.

Fin 2013, M. Thijs décide de ne pas renouveler son mandat, principalement pour cause de non-entente sur sa rémunération future. Son successeur, M. Koen Van Gerven continue la stratégie en cours : présence accrue à l’étranger, nouvelles activités attribuées aux facteurs (sous couvert de flexibilisation), modernisation, utilisation de technologies nouvelles pour le triage, poursuite de la fermeture des bureaux de poste et restructuration des horaires de travail, développement accru de livraison des colis, écrémage des collaborateurs,… Tout cela cause de nouveaux mouvements de grèves et des tensions importantes au sein de l’entreprise.

Fin 2017, bpost acquiert l’entreprise Radial aux Etats-Unis pour un montant exorbitant (700 millions d’euros). Elle n’en vaut aujourd’hui plus que la moitié environ de son prix d’achat. Le modèle n’a pas pris en Europe et il est déjà annoncé que Radial sera déficitaire en 2025.

Staci est un autre exemple d’achat malheureux par bpost : acquise en 2024 pour 1,3 milliards d’euros ( !) alors que son rachat avait été refusé par des entreprises concurrentes au prix de 700.000 millions d’euros... Sans commentaire.

Jean-Paul Van Avermaet succède à M. Van Gerven début 2020 mais est licencié un an plus tard sur fond de poursuites judiciaires aux Etats-Unis pour cause d’entente sur les prix dans le secteur de la sécurité privée. L’action s’est finalement éteinte après une transaction financière.

Dirk Tirez le remplacera jusque fin 2022. Lui aussi fait un pas de côté après avoir été soupçonné de violations de certains codes de conduite internes et de non-respect de la législation.

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Et maintenant ?

Chris Peeters a été nommé en septembre 2023 pour un mandat de 6 ans. Venant d’Elia Group, il a peu de connaissances du monde postal. Il a commencé par licencier une bonne partie de l’équipe de direction et par la remplacer par des membres de son entourage. Ces départs signifient une perte de savoirs et compétences cruciaux pour le futur de l’entreprise.

Actuellement, beaucoup de questions restent en suspens au niveau du plan stratégique de l’entreprise. Les décisions sont prises au coup par coup et les vues stratégiques à moyen et long termes sont obscures. La pression économique pesant sur le personnel reste omniprésente.

Le logiciel Georoute continue de créer de nouvelles problématiques et prévoit de diminuer encore le nombre de tournées en 2025. Le déséquilibre entre la charge de travail et la flexibilité demandée reste démesuré. Au-delà de la perte d’emplois, la faisabilité du métier tout au long de la carrière est remise en cause. Les rythmes imposés sont insoutenables et ne permettent plus aux collaborateurs de remplir leur rôle social auprès des citoyens. Petit à petit, les facteurs sont forcés d’abandonner le service universel qu’ils sont censés rendre à la population.

Quant à bpost banque, elle a disparu. Rachetée par BNP Paribas pour être fermée, bpost n’est plus qu’un fournisseur de services pour la banque française. Nombres de services de proximité qu’elle garantissait ont également disparu avec elle. Les 200 collaborateurs en fonction dans cette filiale ont été transférés ou remerciés.

C’est toutes ces situations invraisemblables qui ont été dénoncées lors des grèves de février : les travailleurs de bpost veulent pouvoir exercer leur métier correctement, ni plus, ni moins. Ils ne demandent pas pour autant plus d’argent ou d’avantages. Alors qu’un protocole d’accord vient d’être signé, il semblerait déjà qu’il ne soit pas respecté à certains égards.

Bpost paie les errements managériaux, le manque de vision à long terme, le peu de cas fait aux ressources humaines ces dernières années. Beaucoup d’idées visionnaires ont été abandonnées beaucoup trop tôt car elles ne rapportaient pas assez d’argent immédiatement. Bpost reste la plus grande entreprise logistique de Belgique. La CSC-Transcom continuera à se battre pour qu’elle puisse évoluer dans le plus grand respect des travailleurs.

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Stéphane Daussaint


1991 : commence à travailler à La Poste comme facteur à Molenbeek

1992 : trieur de nuit à Liège et délégué syndical

1994 : nommé au Comité de Direction de la SCCC (Syndicat Chrétien Communications et Culture)

2000 : permanent syndical à La Poste pour la CSC-Transcom, région de Liège

2006 : permanent national à La Poste pour la CSC-Transcom

2011 : permanent national et régional à Liège

2016 : responsable général du secteur bpost pour la CSC-Transcom

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