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L’ENTREVUE /

Laura Eliaerts se bat pour l'introduction d'une loi belge sur le devoir de diligence

Ce n’est un secret pour personne que nos vêtements sont souvent fabriqués dans des circonstances où les droits de l’homme, le droit du travail et/ou les normes environnementales sont violés. Malheureusement, les infractions à ces droits fondamentaux sont également monnaie courante, par exemple, dans le secteur du diamant, la production et le recyclage de l’électronique ou encore l’industrie du transport. Il est grand temps qu’une loi oblige les entreprises à s’engager dans une « diligence raisonnable en matière des droits de l’homme » déclare Laura Eliaerts d’ACV-CSC International, experte en devoir de diligence.

Que signifie la « diligence raisonnable en matière des droits de l’homme » ? Et à quel point est-il important d›y prêter attention ?

La « diligence raisonnable en matière des droits de l’homme » signifie qu’une entreprise doit s’assurer que les droits de l’homme, le droit du travail et les normes environnementales soient respectés tout au long de sa chaîne de production. Il existe actuellement un manque de transparence dans les chaînes internationales. De plus, il est juridiquement très difficile de tenir les entreprises responsables des violations qui se produisent plus en aval de la chaîne. Cependant, les devoirs de diligence et de contrôle sont vraiment nécessaires. D’abord d’un point de vue moral : les entreprises ne devraient pas pouvoir être autorisées à vendre en toute impunité des produits associés à des infractions aux droits de l’homme. En outre, dans un monde globalisé, il est également important de veiller à ce que la pression n’augmente pas sur les droits des travailleurs, peu importe où ils se trouvent. Après tout, les conditions de travail sont également en danger dans notre propre pays.

Quelle est l’ampleur du problème ?

Le problème est très vaste. Les violations des droits de l’homme ne sont pas toutes visibles. Un grand nombre de délits sont dissimulés au sein des chaînes internationales. Les chiffres de la Confédération Internationale des Syndicats (ITUC) montrent qu’à peine six pour cent des travailleurs ayant contribué à la production de cinquante très grandes entreprises sont directement employés par ces entreprises. Les nonante-quatre pour cent restants se dissimulent quelque part au sein de la chaîne de production, chez des fournisseurs ou des sous-traitants. Les entreprises impliquées ne se sentent pas concernées.

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Pensez-vous que le problème risque d’empirer ?

Il y a des dizaines d’années, les chaînes étaient beaucoup moins complexes. Un produit que vous aviez acheté ici était peut-être passé par deux étapes intermédiaires. Aujourd’hui, de plus en plus de produits voyagent à travers le monde avant de nous parvenir. Plus la chaîne devient complexe et s’internationalise, plus il est difficile de la maîtriser. En outre, la pandémie de Covid-19 a encore accru la pression sur les chaînes internationales et sur les travailleurs qui y sont cachés. Avec pour conséquence l’augmentation du risque que leurs droits ne soient pas respectés.

La faute à la mondialisation !

En tant que syndicat, nous voulons évidemment favoriser la filière courte, non seulement parce que l’emploi reste à proximité mais aussi d’un point de vue environnemental. Toutefois, notre économie est mondialisée. Il s’agit de bien mieux la réguler.

C’est aux entreprises à veiller à leur chaîne d’approvisionnement mais ne s’agit-il pas d’une responsabilité partagée ?

C’est en effet une responsabilité partagée. Les entreprises doivent veiller à ce que les droits de l’homme soient respectés à tout moment, non seulement en interne mais aussi tout au long de la chaîne de production. Toutefois, les États où les biens sont produits et vendus ont également un rôle important à jouer. Ils sont tenus d’édicter la législation nécessaire pour protéger les droits de l’homme et, bien sûr, de veiller à son respect.

En Belgique, un plan d’action national relatif aux entreprises et aux droits de l’homme est en place depuis plusieurs années. Ce plan est-il inadéquat ?

Ce plan – composé de 33 points d’action – est plutôt vague et non contraignant. L’accent est mis sur la sensibilisation. Une entreprise désireuse de construire une chaîne équitable est autorisée à le faire, néanmoins sans obligation. Cela mène à une concurrence déloyale entre les entreprises attachant de l’importance aux droits de l’homme et les entreprises continuant de faire appel à des sous-traitants et des fournisseurs très bon marché, sans trop se préoccuper des droits de l’homme. Toutefois, un nouveau plan d’action national est en train d’être rédigé.

/Qui va payer tout cela ?

Le monde des affaires craint que cette contrainte n’ait un prix élevé. Et certains consommateurs craignent que le devoir de diligence conduise à une augmentation du prix des biens de consommation. A tort, affirme Laura Eliaerts. « Une étude de la Commission européenne montre que pour une PME, le coût de la ‘diligence raisonnable en matière des droits de l’homme’ ne représente que 0,14 % du chiffre d’affaires. Pour une grande entreprise, c’est à peine 0,009 %. De plus, les entreprises ne s’engageant pas dans une diligence raisonnable courent un risque plus élevé de faire face à des infractions tout au long de leur chaîne de production et d’avoir à en payer les conséquences financières. L’addition pourrait s’avérer considérablement plus salée ».

Le devoir de vigilance doit-il être introduit dans l’arsenal législatif ?

La France a déjà adopté une « loi sur le devoir de vigilance » en 2017. Une loi similaire a été votée en Allemagne l’année dernière. Et aux Pays-Bas, on établit des règles. La Belgique a longtemps tardé à ancrer juridiquement le devoir de vigilance mais un projet de loi est actuellement en cours de discussion. Il a été soumis à la Chambre par des parlementaires du PS et de Vooruit en avril de l’année dernière et cosigné par des membres du CD&V, de Groen et d’Ecolo. En septembre, une audition a eu lieu au sein de la Commission économique de la Chambre, où des universitaires, des syndicats et la Confédération des entreprises belges, entre autres, ont été autorisés à donner leur avis sur la proposition.


94 pourcent des travailleurs ayant contribué à la production de cinquante très grandes entreprises se dissimulent au sein des chaînes de production et ne sont pas pris en considération par les entreprises concernées.


La proposition n’est pas parfaite mais reste assez ambitieuse. Si elle est adoptée, elle créera non seulement un devoir de diligence pour toutes les entreprises mais les entreprises de plus de deux-cent cinquante salariés et les PME opérant dans des secteurs à haut risque de violation des droits de l’homme devront également élaborer un plan pour cartographier l’ensemble de la chaîne de production et prendre les mesures nécessaires pour prévenir les violations des droits de l’homme dans cette chaîne. La proposition prévoit également que les entreprises peuvent être tenues responsables des violations qu’elles auraient pu éviter au sein de leur chaîne d’approvisionnement (NDLR : souvenez-vous du drame du Rana Plaza – une usine de vêtements au Bangladesh qui s’est effondrée en 2013 et a tué plus de 1 100 personnes). La loi sur le devoir de diligence rend une entreprise belge de vêtements coresponsable de la sécurité dans les usines de ses fournisseurs. Si une entreprise ne fait pas son « devoir » à cet égard et qu’une catastrophe comme celle qui a eu lieu au Bangladesh il y a neuf ans se produit, les victimes ou leurs proches pourraient s’adresser aux tribunaux belges pour demander réparation. Pour conclure, c’est aussi une bonne idée que le projet de loi prévoit que les organisations de la société civile pourraient agir au nom des victimes de violations des droits du travail et de l’homme et que le plan à élaborer pour cartographier la chaîne de production doit être soumis au comité d’entreprise ; ainsi, les militants syndicaux auront une meilleure vision, entre autres, des sous-traitants avec lesquels leur entreprise collabore.

En attendant, cela bouge aussi du côté européen, non?

Didier Reynders, en tant que Commissaire européen à la Justice, a promis de présenter une proposition sur le devoir de vigilance. Cela aurait dû être le cas il y a longtemps mais ce projet a été retardé. Le Parlement européen a adopté une résolution en mars de l’année dernière pour souligner l’importance du thème du devoir de diligence. Le Parlement espère trouver quelques fers de lance très importants dans la proposition de Didier Reynders. Cependant, le processus pourrait encore durer deux ans avant qu’une directive européenne efficace puisse voir le jour. Il appartiendra alors aux États membres de transposer cette directive dans leur droit national. Juste pour dire qu’il va falloir patienter encore quelque temps. //

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/Laura Eliaerts

Etudes en politique internationale à l’ULB
A effectué un stage à l’ambassade de Belgique en Colombie et pour le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies
Débute sa carrière en tant que Program Manager au sein de l’ONG belge VIA Don Bosco
Depuis novembre 2019, travaille sur les droits humains en entreprise et plus particulièrement sur le devoir de vigilance en tant qu’Advocacy Officer à l’ACV-CSC International

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