L'ENTREVUE /
SODIAL MP
Interview et texte : AC-ML | Photos : CSC-Transcom | Illustration : Rutger Van Parys | Temps de lecture: 9 minutes | PRINTEMPS 2024
SODIAL MP est un projet européen que la CSC-Transcom coordonne depuis 2023 sous l’impulsion et la direction de Roberto Parrillo, responsable général du secteur transport routier et logistique de la CSC-Transcom et président de la section route d’ETF. Le projet s'est conclu à Bruxelles le 9 avril 2024 lors d’un séminaire final qui a rassemblé toutes les parties prenantes au Paquet Mobilité, que ce soit au niveau local, national ou européen.
Roberto, comment est née l’idée de coordonner un projet d’une telle envergure ?
L’idée est partie d’un défi : celui de mobiliser les représentants des employeurs et des travailleurs de pays très différents de l’Union européenne autour d’un appel à projet de la Commission européenne dans le secteur du transport routier de marchandises.
En effet, quatre ans se sont passés depuis l’adoption du Paquet Mobilité les 8 et 9 juillet 2020. Ses premières mesures sont entrées en vigueur le 20 août 2020 et les dernières ne le seront qu’au 1er juillet 2026. Chaque état membre est chargé d’implémenter ces législations dans son propre arsenal législatif, parfois de manière différente et parfois avec beaucoup de retard. Au cours du séminaire de Rome, en mai 2023, on a appris que certains arrêtés d’application venaient seulement d’être adoptés en Italie. C’est la réalité du terrain !
Bref, c’est la première fois qu’autant de directives et de règlements sont modifiés en parallèle. L’objectif principal du projet SODIAL MP est de faire en sorte que le Paquet Mobilité, et donc sa mise en œuvre et son application, soit considéré comme une question clé pour le transport routier européen par le biais d’un dialogue social national et européen.
Que représente le Paquet Mobilité pour le secteur ?
L’ambition du Paquet Mobilité est de renforcer la compétitivité du secteur européen de la mobilité, notamment en garantissant un marché intérieur socialement équitable et compétitif pour les services de transport routier. Il faut des règles claires et applicables, des règles qui garantissent le fonctionnement optimal du marché intérieur, une concurrence réelle et loyale. Le Paquet Mobilité doit également éviter la fragmentation du marché intérieur du transport routier, éviter les charges administratives excessives pour les entreprises, améliorer la clarté et la mise en œuvre du cadre réglementaire et lutter contre les abus, tels que l’utilisation de « sociétés boîtes aux lettres », les modèles d’entreprise opaques ou les opérations de cabotage illégales.
En pratique, ce qui crucial dans toute législation, c’est qu’elle soit effectivement applicable sur le terrain et que sa bonne application soit efficacement contrôlée. Il faut éviter que se creuse un fossé entre la législation, sa compréhension, son application et son contrôle par les autorités compétentes. A cet égard, chaque acteur a un rôle clé à jouer.
Or, le projet a mis en évidence l’existence d’un tel fossé en rapport à une série de mesures. Les partenaires du projet se sont alors penchés sur les solutions qui pouvaient être envisagées pour rectifier le tir. Les solutions ne sont à trouver qu’en Europe, en tenant compte des réalités très différentes que les uns et les autres rencontrent dans leur propre environnement.
Voudrais-tu nous expliquer les différentes phases du projet ?
Grâce à son approche globale, le projet propose non seulement d’examiner l’ensemble des règlements consolidés dans le Paquet Mobilité mais d’étendre la réflexion et l’analyse au-delà, pour aborder des questions connexes telles que son articulation avec le Green Deal ou avec les règlements applicables à la coordination des systèmes européens de sécurité sociale et aussi les attestations de conducteurs de pays tiers.
La première étape a consisté à effectuer une analyse de l’ensemble du Paquet Mobilité : réglementation des temps de conduite, des pauses et des périodes de repos, réglementation de l’accès au marché unique et accès à la profession avec un accent particulier sur la réglementation du cabotage et l’utilisation obligatoire d’un tachygraphe intelligent.
Toute règlementation ne peut produire pleinement ses effets que si elle peut être et est concrètement mise en œuvre sur le terrain. Un état des lieux a donc été dressé après consultation des autorités en charge de l’application du Paquet Mobilité et des contrôles routiers dans chaque pays concerné.
Le projet a également cherché à établir la cohérence au sein des dispositions du Paquet Mobilité et de s’assurer de l’absence d’incohérences entre les différentes réglementations. L'analyse a donc porté sur les règles applicables : temps de conduite, temps de repos et pauses, cabotage, accès au marché, accès à la profession, détachement des travailleurs, tachygraphe, ...
Il est nécessaire, par exemple, de vérifier que les règles relatives aux temps de conduite et de repos ne soient pas contredites par les règles relatives au détachement des travailleurs ou que les règles relatives à l’accès au marché ne soient pas remises en cause par celles applicables au cabotage.
La cohérence des dispositions du Paquet Mobilité a également été analysée non seulement au regard des autres réglementations en vigueur dans l’Union européenne mais aussi, plus largement, au regard des politiques publiques soutenues par l’UE. Ce projet a été l’occasion de déterminer si l’application du Paquet Mobilité donne lieu à des incertitudes ou à des obstacles qui rendent plus complexe l’application d’autres normes européennes comme celles portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et sur le Green Deal.
Enfin, toutes ces analyses et ces états des lieux ont été finalisés par une série de recommandations à l’encontre de la Commission européenne. Celles-ci viseront notamment à mieux mettre en évidence les problèmes d’interprétation que les nouvelles dispositions peuvent poser et certaines exigences nouvellement identifiées pour la formation professionnelle des parties prenantes (représentants des travailleurs et des employeurs du transport routier, inspecteurs des routes, police, etc.). Toutes ces recommandations ont été approuvées à l’unanimité par tous les participants au projet.
Une stratégie de communication a également été définie pour rendre la communication des résultats du projet, leur diffusion dans les différents pays et le soutien de la Commission Européenne visibles à toutes les parties prenantes. L’adoption partagée des résultats du projet ambitionne de servir de base solide pour la poursuite de la construction du marché unique européen des transports. Un des messages principaux de SODIAL MP , c’est qu’il faut plus d’Europe. La dissémination des résultats du projet se doit donc d’être la plus large possible.
/SODIAL MP, un projet résolument international
Afin de répondre au mieux aux objectifs du projet SODIAL MP, il a semblé indispensable que les participants soient originaires de pays représentant les axes nord-sud et ouest-est de l’Union Européenne et qu’ils proviennent d’organisations diversifiées (syndicales, patronales, organismes de contrôle, administrations, etc.). Le projet a donc été mené avec le concours de participants en provenance de 5 pays (Italie, Espagne, France, Pologne et Belgique) et de 16 organisations locales, nationales et européennes (ACV CSC-Transcom, AFT, OTRE, EFT, FGA-CFDT, UGT, FILT CGIL, TLV, FIT CISL, SOLIDARNOSC, TLP, ASTIC, CONF TRASPORTI, ASSOTIR, FNTL FO UNCP, FSC-CCOO).
Que t’a appris ce projet ?
J’ai énormément appris de tous les pays participants. On vit des réalités différentes mais on vit ensemble au sein de l’Union européenne. Le dialogue social, national et européen, est essentiel à la poursuite d’une Europe au marché intérieur fort et prospère, où compétition loyale, conditions de travail décentes et sécurité sociale juste ne sont pas que de vains mots. Il y a des attentes communes qui peuvent renforcer cette appartenance européenne et rétablir un marché unique respectueux des règles.
Le projet a mis en évidence une certaine complexité : tout n’est pas blanc et noir. On peut déjà commencer par noter la diversité et la multiplicité des parties prenantes : inspection sociale, inspection du travail, avocats, magistrats, police de la route, autorités de contrôles, ministères, représentants des travailleurs et des employeurs… Chaque participant a une valeur ajoutée même si on peut ne pas être d’accord tout le temps avec tout le monde.
Le fait d’avoir organisé les séminaires dans chaque pays participant, d’avoir été dans des endroits peut-être inhabituels pour prendre le pouls de la manière dont chacun vit et interprète les choses a aussi été très riche en expérience. Ce qui est important pour l’un, ne l’est pas forcément pour l’autre.
Au cours des séminaires, les participants ont eu l’occasion d’exprimer leur réalité du terrain. Ce partage et cet échange d’expériences a mis en évidence la volonté de tous les acteurs d’être mieux informés et leur volonté d’une plus grande harmonisation. Parfois de manière surprenante d’ailleurs. La Pologne, par exemple, veut redorer son blason et a fermement dénoncé le problème de dumping social dont leurs petites et moyennes entreprises souffrent... comme celles de l’Europe de l’Ouest. De même, les autorités de contrôle polonaises ont déploré le manque de moyens dont ils disposent pour mener des contrôles de qualité et faire respecter la législation en vigueur.
Ces échanges ont également mis en évidence un phénomène assez inquiétant : les différentes parties prenantes ont souvent une interprétation erronée de certains points de la législation. Je pense par exemple au flagrant délit lors de contrôles sur l’interdiction de passer le repos hebdomadaire normal de 45 heures dans le véhicule (qui n’est pas requis, en dépit du fait que certaines autorités de contrôle pensent encore qu’il est obligatoire).
Concrètement, quelles conclusions peut-on tirer pour le Paquet Mobilité ?
De manière unanime, les participants ont conclu qu’il fallait revenir à la base et expliquer de manière structurée les différentes mesures du Paquet Mobilité aux différents intervenants. La formation et l’information sont deux axes importants des conclusions de ce projet.
Le projet a également mis en évidence que certaines règles sont quasi impossibles à contrôler, donc à faire respecter, ou qu’elles comportent une charge administrative démesurément lourde. Ce qui remet en question l’existence-même de la mesure telle qu’elle est formulée actuellement.
Quant aux contrôles, ils sont quasi inexistants actuellement. Ils devraient être renforcés, beaucoup plus structurés, coordonnés, ciblés et surtout uniformisés. Pour y arriver, il faudrait doter les autorités de contrôle des différents états membres de plus de moyens financiers, humains et technologiques ainsi que de structures leur permettant de collaborer plus étroitement et de manière plus concertée. Cela devrait être une priorité pour les états membres. Et cela leur rapporterait beaucoup plus d’argent que cela leur en coûterait. Lors de la pandémie, l’Union européenne a trouvé la force de mutualiser ses ressources pour s’en sortir au mieux. Pourquoi ne pas faire de même en ce qui concerne le contrôle du respect des règles du Paquet Mobilité ?
De manière générale, les constats et recommandations exprimés à l’unanimité par les participants constituent un message politiquement fort et important.
/SODIAL MP, un projet aux multiples facettes
De par l’envergure du projet, l’action centrale a été subdivisée en phases ou thématiques se concluant chacune par un séminaire : analyse des changements dans les réglementations et leur mise en œuvre consécutivement à l’adoption du Paquet Mobilité, analyse des conditions d’applicabilité du Paquet Mobilité dans les états membres, analyse de la cohérence interne et externe du Paquet Mobilité, finalisation des analyses et enquêtes, stratégie de communication (inter)nationale vers toutes les parties prenantes et enfin, recommandations envers la Commission européenne.