TROIS QUESTIONS A /
Trois questions à Marc Scius
ÉTÉ 2023 // Temps de lecture - 3 minutes
La rtbf vient de s’engager à utiliser un contrat-type avec ses partenaires externes. Qu’est-ce qui a motivé la direction de la rtbf à conclure ce genre de contrat ?
Marc — Pour remettre les choses à leur place, il convient de dire que la direction de la RTBF n’avait absolument pas prévu de discuter avec les organisations syndicales, ni avec d’autres organisations d’ailleurs, en vue de conclure un accord collectif. L’idée de la direction de cette entreprise publique, largement subsidiée, était de conclure des contrats de fourniture de services, d’entreprise à entreprise, avec des travaileur.euse.s, sous statut indépendant ou assimilé.
C’est ainsi que des auteur.trice.s., chroniqueur.euse.s et autres freelances « fournisseur.euse.s externes de contenu », ont fait l’objet d’une action aux limites de la légalité. Ces travailleur.euse.s se sont vus adresser, via l’écran de leur PC, et sans interlocuteur pour en discuter, des contrats standardisés, modifiant unilatéralement, leurs conditions essentielles de collaboration (c.-à-d. : montants des prestations, droits cédés, exclusivité, non-concurrence,…). De toute évidence, cette manière de faire ne correspondait en rien avec la notion même de contrat, qui implique la possibilité de négocier, y compris collectivement dans le cadre d’une publicité des contenus du contrat, qui impose que les contractants disposent, à tout moment, d’un exemplaire du contrat. Ces éléments essentiels n’étaient manifestement pas réunis, ce qui nous est apparu tout à fait inacceptable, le principe d’égalité des contractants étant totalement bafoué.
Il faut oser dire que, comme syndicats, nous avons été alertés par deux sociétés de gestion collective de droits d’auteur (SACD et SCAM), avec lesquelles nous collaborons sur d’autres dossiers. Suite à cette interpellation, nous avons décidé d’agir, par communiqué de presse d’abord, par interpellation de la direction de la RTBF ensuite, ainsi que par un lobbying politique intense (le CA de la RTBF est entièrement composé de représentant.e.s des partis !).
Les organisations syndicales ont fait valoir qu’elles sont en droit de représenter tous les travailleurs, quel que soit leur statut, vis-à-vis d’un employeur, et ceci pour tout ce qui concerne les conditions contractuelles, d’engagement, de rémunérations, d’horaires et de conditions de travail. Cela ne semblait pas être la position de la direction de la RTBF, qui refusait obstinément d’impliquer les syndicats dans les discussions.
Les pressions politiques ont porté leurs fruits, les menaces d’action, et de dénonciation via voie de presse également, et dès le 30 mars 2023, des négociations ont pu commencer. Négociations portées, du côté des travailleurs, par une plateforme tout à fait originale : syndicats (CSC-Transcom, CGSP, United Freelancers), sociétés de gestion collective de droits d’auteur (SACD et SCAM), fédération d’auteurs (Pro Spere).
Nous avons d’abord franchi deux obstacles : la représentativité légale de cette plateforme et la question des règles européennes de concurrence. Le premier a été franchi, sans doute sous la pression politique, mais aussi en mettant en avant les avancées du droit européen en la matière. Le deuxième obstacle semblait plus épineux. En effet, les accords collectifs, pour des travailleurs indépendants (ces « mini-entreprises » !), pourraient être assimilés à des ententes sur les prix, qui sont interdites. Cependant, nous avons mis en avant les exceptions à cette règle, telles qu’un donneur d’ordre ayant un chiffre d’affaires supérieur à 2 millions d’euros (ce qui est évidement le cas de la RTBF), mais aussi la présence dans une même activité de travail de personnes relevant de statuts différents (ici, des contractuels, des statutaires et des indépendants).
Au bout du compte, des résultats importants ont été obtenus, d’abord via une négociation en parallèle « droits d’auteur » / « conditions de travail », et ensuite, via la rédaction commune d’un nouveau contrat type, assorti d’une grille de rémunérations qui tiendra compte du statut de travailleur indépendant (c.-à-d. avec un coefficient multiplicateur par rapport aux rémunérations des salariés).
La direction s’est engagée a proposer ce contrat type comme base de négociation (il est donc possible d’aller au-delà, mais pas en-deçà !) et les organisations se sont engagées à défendre cette formule, ainsi qu’à développer les mêmes revendications chez les employeurs concurrents (RTL TVI notamment).
En quoi est-ce une avancée par rapport à ce qui se faisait avant ?
Marc — Sans entrer dans les détails très techniques de ce texte, il est évident que l’égalité des parties contractantes sera bien mieux respectée que dans ce qui était proposé (imposé ?) auparavant.
Par ailleurs, nous pouvons relever une réelle avancée sociale, puisque des organisations syndicales, entre autres, ont pu négocier un accord collectif pour des travailleur.euse.s indépendant.e.s, en l’absence d’un cadre légal belge établissant leur représentativité. Et il convient également d’ajouter que dans la foulée de ce processus, les organisations syndicales ont été reçues par M. P-Y Dermagne, Vice-premier ministre, Ministre du travail et de l’économie. Cette rencontre ayant pour objectif de demander qu’une initiative politique et parlementaire soit prise afin d’asseoir légalement cette représentativité syndicale, ainsi que la prépondérance des syndicats (a priori interprofessionnel et non-corporatistes), d’apposer la signature finale sur des conventions visant les travailleurs indépendants. M. le Ministre nous semble avoir accueilli favorablement ces demandes et s’est engagé, notamment, à saisir le Conseil Central de l’Economie sur ces sujets.
Est-ce que ce contrat pourrait servir d’exemple à d’autres secteurs d’activités ?
Marc — Aujourd’hui, tous les secteurs sont concernés par la montée en puissance d’autres statuts de travail, tel que celui d’indépendant sans personnel ou solo. On peut regretter cela, mais il s’agit d’une évidence et nous ne pouvons pas, comme organisation de défense de tou.te.s les travailleur.euse.s, rester les bras croisés. Le processus de négociation qui a été mené ici atteste de la capacité d’innovation des organisations syndicales et peut servir d’exemple quasiment partout où il n’est pas possible d’opérer autrement.