FLASHBACK /
Le directeur général symbolise l’histoire complexe de la SNCB en temps de guerre
Texte Nico Wouters / Photo CegeSoma/Rijksarchief / HIVER 2024
Le CegeSoma - Centre d’études Guerre et Société a publié en 2007 un rapport de recherche sur l’attitude des autorités belges face à la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce rapport confirmait déjà que la SNCB avait effectué des transports de déportation. En novembre 2012, l’administrateur délégué de la SNCB de l’époque, Jannie Haek, l’a également admis publiquement. Mais sans avoir une vision claire de l’ensemble de la situation. Entre-temps, de nouveaux éléments importants sont apparus. Grâce à une nouvelle enquête de CegeSoma sur le rôle spécifique de la SNCB. Nico Wouters, directeur de CegeSoma, nous retrace les principaux éléments du rapport final dans ce billet, en tant que rédacteur invité.
Entre 1940 et 1944, 189 542 travailleurs forcés belges, 25 490 Juifs, 16 081 prisonniers politiques et 353 Roms ont été déportés de notre pays vers l’Est. Dans tous les cas, ces déportations ont été effectuées par du personnel de la SNCB et avec du matériel roulant belge, au moins jusqu’à la frontière allemande. De plus, la SNCB a également été payée pour ces transports.
La décision prise en juin 1940 par le directeur général de la SNCB, Narcisse Rulot, de remettre en marche la compagnie ferroviaire et de collaborer ainsi avec l’occupant allemand semble aujourd’hui très mauvaise. Mais dans le contexte de l’époque, elle était inévitable. La SNCB n’avait pas d’autre choix que de collaborer avec l’occupant dans l’intérêt du pays et de la population. Tant l’approvisionnement de l’industrie - et donc de l’emploi en Belgique - que l’approvisionnement en nourriture de la population dépendaient entièrement de la SNCB. C’est donc la «politique du moindre mal» qui est choisie.
Services militaires
Cependant, en l’absence d’accords clairs, les choses ont rapidement mal tourné. La SNCB a presque immédiatement commencé à fournir des services militaires aux forces d’occupation. La direction était consciente que le droit pénal l’interdisait, mais elle considérait le service militaire aux forces d’occupation comme le prix à payer pour garantir les transports et l’approvisionnement en nourriture de la Belgique. Ce raisonnement s’est également avéré essentiel lors de la mise en place des trains de déportation. Pour la SNCB, les trains de déportation n’étaient qu’une petite partie d’un service militaire beaucoup plus large. Le principe du service militaire étant déjà accepté, les trains de déportation n’ont pas été remis en question.
Presque immédiatement, la SNCB a également commencé à fournir des services militaires aux forces d’occupation. La direction savait que le code pénal l’interdisait, mais elle considérait le service militaire aux forces d’occupation comme un prix à payer pour assurer le transport et l’approvisionnement en nourriture de la Belgique.
Au cours de l’été 1942, le directeur général de la SNCB, Rulot, avait le pouvoir de s’opposer aux transports de déportation des Juifs, mais il ne l’a pas fait. Le fait que Rulot ait eu cette possibilité a tout à voir avec la dépendance nettement accrue de l’occupant allemand à l’égard de la SNCB. Non pas qu’un refus de la SNCB de faire circuler d’autres trains de déportation les aurait arrêtés, mais cela les auraient, plus que probablement, sérieusement retardés. Narcisse Rulot a d’ailleurs utilisé sa position renforcée de négociation pour aller à l’encontre d’autres ordres allemands, mais les trains de déportation n’étaient manifestement pas dans son viseur en tant que dossier important.
Il est difficile de comprendre que les trains de déportation n’aient pas été considérés comme importants pendant et après l’occupation. Même la forte résistance au sein de la SNCB ne considérait pas le sabotage des trains de déportation comme une priorité. Et même après la libération, aucune question n’a été posée à ce sujet.
Contradiction
L’histoire de la SNCB en temps de guerre est complexe et contradictoire. Par exemple, elle a fourni des services militaires aux forces d’occupation, y compris des transports de déportation, mais elle a également assuré le ravitaillement de la population. La SNCB a souffert de la répression et de l’exploitation allemandes, mais elle a aussi pu formuler sa propre politique économique. Le destin du directeur général symbolise cette contradiction. Narcisse Rulot a été puni après la libération, dans la période des purges d’après-guerre, en raison de son comportement antipatriotique, mais il a reçu plus tard une reconnaissance officielle en tant que résistant. Ce n’est donc pas une simple question de culpabilité qui se pose à nous.
Même la forte résistance au sein de la SNCB ne considérait pas comme une priorité le sabotage des trains de déportation. Et même après la libération, aucune question n’a été posée à ce sujet.
En tant que fonctionnaire belge, Rulot était un technocrate qui pensait en termes d’efficacité et de profit. Cependant, sa politique de guerre est toujours couverte par l’industrie belge et les secrétaires généraux qui, en tant que plus hauts fonctionnaires belges, remplacent les ministres dans la Belgique occupée. La politique de la SNCB s’inscrivait pleinement dans la politique du gouvernement belge. En ce sens, il n’est pas correct de réduire la responsabilité à une personne ou même à une entreprise. Les décisions prises par la SNCB ne peuvent être correctement comprises que dans le cadre d’une responsabilité collective plus large des autorités industrielles et publiques belges en temps de guerre.
Le rapport final complet de l’enquête sur le rôle de la SNCB dans les déportations pendant la Seconde Guerre mondiale en Belgique est disponible sur le site web du Sénat : https://www.senate.be/home/sections/geschiedenis_en_erfgoed/NMBS-SNCB/CegeSoma-rapport-def.pdf
L’éditeur Racine a publié en mai 2024 le livre «Le rail belge sous l’occupation, la SNCB face à son passé de guerre : entre collaboration et résistance», dans lequel Nico Wouters décrit au grand public l’histoire de la SNCB en temps de guerre.